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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/940

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Tant mieux, dit naïvement misé Brun.

Or, ces nouveaux hôtes, c’étaient le marquis de Nieuselle et ses deux acolytes.

Les chambres de l’auberge des Trois Mages s’ouvraient sur un étroit corridor dont les murs, barbouillés de toute sorte d’hiéroglyphes au charbon, étaient aussi minces que ceux d’un château de cartes. On pouvait, de cette espèce d’antichambre commune, entendre aisément tout ce qui se disait dans les trois galetas mal clos et tapissés de toiles d’araignée que l’aubergiste appelait pompeusement ses appartemens. Tandis que Bruno Brun arrangeait ses coffres, le marquis de Nieuselle et Vascongado, qui occupaient les deux chambres voisines, prêtèrent l’oreille.

— Voilà les coffres en sûreté, dit l’orfèvre ; à présent, il s’agit de souper et de se coucher au plus vite, afin de se réveiller demain avant le jour : entends-tu, Michel ?

— Soyez tranquille, répondit le lourdaud ; au point du jour, nous mangeons l’avoine ; avant le soleil levé, nous partons, et je vous promets qu’à la nuit tombante nous serons sortis depuis long-temps du bois de l’Esterel.

— J’espère bien que non, murmura Nieuselle en se retirant dans sa chambre, pour tenir conseil avec Vascongado et Siffroi. Ce dernier, déguisé en paysan, était venu se loger à l’auberge des Trois Mages sans dire qu’il appartenait au marquis. Il s’était donné pour le valet d’un maquignon qui se rendait à la foire de Grasse, et il avait expliqué ainsi comment on l’avait vu arriver monté sur un beau cheval du Mecklembourg, lequel ne semblait pas fait pour porter un homme de sa sorte. Nieuselle n’eut garde de se montrer ; il se fit servir à souper dans sa chambre, et ne laissa pas non plus paraître Vascongado ; misé Brun ne se douta pas qu’elle était sous le même toit que cet homme, dont l’insolence et l’audace lui avaient causé, dans une première rencontre, tant de crainte et de mépris.

Le lendemain, à l’aube, l’orfèvre et sa femme étaient prêts à continuer leur voyage. Tout le monde semblait dormir encore dans l’auberge. La lampe accrochée au mur fumait et s’éteignait en projetant d’incertaines lueurs dans l’étroit passage qui servait de vestibule. Un coq familier, qui perchait dans la cuisine, saluait de son cri perçant les premières clartés du jour et annonçait l’heure à défaut de l’horloge, depuis long-temps dérangée et muette. Bruno Brun, frappé d’une certaine inquiétude, se hâta de gagner une cour intérieure, sur laquelle donnait l’écurie. La carriole était devant la porte, les