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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/941

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MISÉ BRUN.

brancards relevés, comme elle avait été laissée la veille, et l’on entendait au fond de l’écurie la voix de Michel, qui remplissait l’air de lamentations et de jurons effroyables : son cheval, étendu sur la litière, refusait de se relever et paraissait agonisant. L’orfèvre, voyant le déplorable contre-temps qui s’opposait à son départ, fit deux fois à grands pas le tour de l’écurie, comme un homme absorbé dans ses pensées, et dont le cerveau travaille à résoudre quelque proposition embarrassante ; puis il s’assit sur une borne, allongea les mains sur ses genoux, et dit avec un grand soupir :

— Il faudrait arriver à Grasse demain au plus tard ; c’est fini, notre voyage est manqué.

— Manqué ! s’écria misé Brun ; non, non, je vais voir, je vais m’informer s’il serait possible d’avoir un autre conducteur et un autre cheval.

— C’est une assez bonne idée, répondit Bruno Brun après réflexion.

Tandis que ceci se passait dans la cour, Vascongado montait quatre à quatre les degrés et entrait chez son maître. — Monsieur le marquis peut se lever et prendre les devans, dit-il en entr’ouvrant les rideaux ; il n’y a pas de temps à perdre : la drogue a fait merveille ; le cheval est sur le flanc, l’équipage en fourrière, et nos voyageurs dans le dernier embarras. La jeune femme parle de se procurer un autre cheval, et Siffroi va se présenter avec Biscuit.

— C’est bien ! s’écria Nieuselle ; ah ! ah ! ils donnent dans le panneau ; voyons un peu.

Il se rapprocha de la fenêtre et regarda dehors avec précaution, en se cachant derrière le simulacre de rideau qui flottait devant le châssis dépourvu de vitres. — Bon ! reprit-il, voilà Siffroi qui est en pourparler avec misé Brun. Le drôle la rançonne, je crois. Pauvre agnelet ! elle se livre sans la moindre défiance.

— C’est fini, ils sont d’accord, elle lui a donné des arrhes, dit Vascongado triomphant. Monsieur le marquis va les voir partir. Siffroi amène Biscuit ; il le met sous le brancard. Quel honneur pour cette méchante carriole !

— Allons ! s’écria Nieuselle avec un transport de joie, allons ! à cheval ! Il faut que je les devance au logis de l’Esterel.

L’orfèvre n’avait conçu aucune défiance ; il se trouvait au contraire fort heureux d’avoir rencontré si à propos ce grand garçon, qui pour assez peu d’argent lui fournissait un cheval et consentait à conduire son équipage. Mais d’un autre côté, il n’avait pas la même