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Gaspard de Besse ? Dieu me damne ! je rirais bien en me l’entendant raconter.

Pendant ce colloque, misé Brun attendait patiemment que son mari l’appelât pour repartir. Après avoir un peu marché, elle était revenue s’asseoir près de la maison, dans le jardinet que cultivait l’hôtesse, vrai parterre de cabaret où le tournesol et l’œillet d’Inde fleurissaient orgueilleusement au milieu des salades. La petite servante l’avait suivie et la regardait de loin à la dérobée avec une sorte d’étonnement. La pauvre créature, accoutumée à la grossière laideur de l’hôtesse, ainsi qu’aux traits rudes et basanés des gens qui fréquentaient le logis de l’Esterel, contemplait le gracieux et frais visage de misé Brun avec le même étonnement et le même plaisir qu’elle aurait ressenti à l’aspect de quelque fleur miraculeuse ou de quelque oiseau d’un plumage merveilleux. La modeste toilette de la belle voyageuse lui plaisait beaucoup aussi ; elle ne se lassait pas d’admirer son casaquin à grandes raies et le ruban rose vif noué sur sa coiffe de linon brodé. Misé Brun l’aperçut et devina peut-être ses impressions.

— Approche donc, petite ; est-ce que je te fais peur ? lui dit-elle en souriant.

La servante vint s’asseoir familièrement à ses pieds, et continua de la regarder en dessous avec un petit rire qui marquait son contentement.

Cette enfant, qui pouvait avoir quinze ans environ, eût été jolie, si la plus rude existence n’eût flétri et détruit sa beauté avant même qu’elle fût en sa fleur. L’ardeur du soleil, les intempéries de l’air, avaient donné à sa peau des tons calcinés ; son teint, comme ses cheveux et ses yeux, étaient d’un brun fauve. Son vêtement répondait à sa figure : une jupe de drap, semblable à un lambeau d’amadou, flottait sur ses hanches grêles, et les mèches rebelles de sa chevelure s’échappaient d’un bonnet d’indienne, rattaché sous le menton par des cordons de fil écru.

— Tu te reposes volontiers un moment, n’est-ce pas ? lui dit misé Brun ; ici, comme partout, on a bien du mal à gagner sa vie, ma pauvre petite. Tu travailles beaucoup ?

— Comme ça, répondit-elle avec insouciance. Je balaie la cuisine, j’aide à l’écurie, et, quand je n’ai rien à faire dans la maison, je vais au bois. — Et vous ? ajouta-t-elle en regardant les mains fines et blanches de misé Brun ; vous êtes une dame de la ville, vous ne faites rien ?