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MISÉ BRUN.

— Je ne suis pas une dame, et je travaille du matin au soir comme toi, mais sans jamais bouger de place, répondit la voyageuse, que son imagination ramena en ce moment dans l’obscure arrière-boutique où l’attendaient son siége vide et sa quenouille, debout entre la fenêtre et le mur. Va, tu es bien heureuse de vivre au grand air dans ces montagnes, et je voudrais de tout mon cœur être à ta place…

— Bah ! fit la jeune fille avec un mouvement d’incrédulité et en jetant un coup d’œil dédaigneux sur sa propre personne, vous voudriez être comme moi ? Eh bien ! moi, je voudrais de toute mon ame être comme vous.

— Tu ne sais pas ce que tu désires, dit tristement misé Brun.

— Je serais bien blanche, bien belle, bien habillée, continua la fillette, et je me plairais tant à moi-même, que je ne ferais que me regarder du matin au soir.

Ce naïf compliment fit sourire la jeune femme ; elle passa la main sur les cheveux incultes de la petite paysanne comme pour les lisser et les arranger.

— Simplette que tu es ! dit-elle ; tu ne te figures rien de plus beau que mon ajustement. Que serait-ce, bonté divine ! si tu voyais de grandes dames avec leurs chaînes d’or, leurs perles et leurs pierreries !

— Tout ça ne me plaît pas beaucoup, répondit la servante avec un sérieux comique et un geste de dédain qui fit rire misé Brun.

— Ah ! tu n’aimes pas ces belles choses ? dit-elle d’un ton d’ironie enjouée ; mais, en fait de joyaux, tu n’as sans doute jamais vu que les bagues de laiton et les croix d’étain que vendent les colporteurs ?

La petite servante hocha la tête avec un imperceptible sourire, et dit en regardant le nœud rose attaché sur le bonnet de misé Brun :

— Les rubans me semblent bien plus jolis que l’or et l’argent.

— Cela se trouve bien, dit la jeune femme avec une adorable bonne grace ; je n’ai ni or ni argent à te donner, mais je puis te faire présent de ce beau ruban rose qui te plaît si fort.

À ces mots, elle détacha le nœud de sa coiffe et le plaça sur les cheveux de l’enfant, qui la laissa faire d’un air glorieux et ravi.

Cette petite scène fut interrompue par l’arrivée de Bruno Brun, lequel, depuis un moment, observait avec épouvante les signes précurseurs de l’orage.

— Ma femme ! s’écria-t-il, qu’allons-nous faire, qu’allons-nous devenir ? Voilà un mauvais temps qui se prépare.