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MISÉ BRUN.

pect de cette espèce de prison réjouit pourtant Bruno Brun. — Nous serons bien ici, dit-il à sa femme. La pièce étant voûtée et close de tous côtés, nous n’entendrons guère le bruit du tonnerre. La porte est munie en dedans d’un bon verrou, et, quand elle sera fermée, nous pourrons être tranquilles.

Misé Brun s’assit en silence sur le coffre, et, tirant son tricot de sa poche, elle se mit à travailler. L’orfèvre s’étendit sur la couchette, le visage tourné vers la muraille et les yeux fermés, pour ne pas voir les éclairs. Au dehors, l’orage éclatait avec furie : la pluie ne tombait encore que par rares ondées ; mais le tonnerre grondait sans intervalle, et les régions inférieures de l’atmosphère étaient traversées par des tourbillons de vent qui renversaient les arbres et s’engouffraient dans les gorges de la montagne avec un bruit rauque et affreux.

Chaque fois qu’une raie de feu éblouissait les regards de misé Brun, elle faisait le signe de la croix en murmurant quelque prière ; puis elle reprenait son travail.

Bruno Brun s’agitait, se retournait sur sa couchette, et de temps en temps s’écriait d’une voix entrecoupée de profonds soupirs :

— Si je pouvais faire un somme ! Qui sait l’heure qu’il est ?… Dieu fasse que le temps se relève ! Bonté du ciel ! je donnerais bien vingt-cinq louis, si je les avais, pour être maintenant dans la rue des Orfèvres, tranquillement assis à mon établi… Maudits soient les voyages ! on y perd le repos et la santé. Que je revienne sain et sauf de celui-ci, et, par le saint suaire ! je promets de ne plus perdre de vue les remparts de la ville d’Aix.

Pendant un de ces soliloques, misé Brun crut entendre dans le chemin le trot d’un cheval ; elle prêta l’oreille et reconnut que quelqu’un arrivait en effet au logis de l’Esterel ; mais la présence de ce nouvel hôte n’occasionna aucun tumulte dans la maison. La jeune femme entendit seulement grincer la porte qui se refermait. Un moment après, il lui sembla qu’un bruit de pas retentissait dans le long corridor, à l’entrée duquel sa chambre était située. Cette circonstance ne la frappa point : elle ne jugea pas à propos de faire part à l’orfèvre de ses remarques, et continua de travailler en écoutant les voix de l’orage qui s’élevaient toujours plus lamentables et plus furieuses.

La nuit approchait cependant ; un froid crépuscule se répandait dans la chambre, qui s’assombrit promptement. De rares éclairs déchiraient maintenant les nuages, qui fuyaient emportés par le vent