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— Eh bien ! nous attendrons qu’il soit passé, répondit-elle avec une calme résignation.

— Mais nous sommes dans le bois de l’Esterel !

— C’est un endroit plus terrible de loin que de près.

— Dieu du ciel ! un coupe-gorge où l’on ose à peine passer en plein jour ! Nous sommes menacés d’y rester jusqu’à la nuit tombante, et peut-être jusqu’à demain matin.

— Patience ! cela vaudrait mieux que de s’aventurer dans des chemins noyés par la pluie, et où nous resterions peut-être au fond de quelque ornière.

La tranquillité de la jeune femme finit par rassurer un peu Bruno Brun. Il était d’ailleurs dans une de ces situations qui donnent de l’énergie aux plus faibles ; ne pouvant avancer ni reculer, il prit le parti de rester résolument en place.

— Rentrons, dit-il à sa femme ; s’il plaît à Dieu, nous en serons quittes pour arriver à Grasse tout juste pour l’ouverture de la foire.

En ce moment, le tonnerre gronda, et bien que l’air fût si calme qu’on n’entendait plus frémir le feuillage sonore des pins, un bruit semblable à celui des vents en furie s’élevait des profondeurs de la forêt : de livides éclairs jaillissaient incessamment de l’obscure nuée suspendue au-dessus de la montagne ; on sentait de toutes parts les forces aveugles des élémens prêts à se heurter et à briser la création dans leur épouvantable choc. La jeune femme s’était arrêtée. Immobile, le visage tourné vers les régions d’où venait la tempête, elle frémissait d’admiration et de terreur en écoutant les voix formidables qui résonnaient autour d’elle. Le cœur pénétré d’une émotion religieuse, l’imagination saisie par la poésie sublime de cette grande scène, elle ne pouvait trouver des paroles pour formuler les impressions de son ame, et murmurait, les yeux levés au ciel : — Mon Dieu ! mon Dieu ! que vos œuvres sont belles ! que vous êtes puissant !

— Ma femme ! cria l’orfèvre arrêté au seuil de l’auberge, j’ai senti une goutte d’eau ; dépêche-toi de rentrer.

Elle revint lentement vers lui et le suivit en silence dans la chambre où il avait déjà transporté son bagage. Cette pièce, située au rez-de-chaussée, ressemblait plutôt à une cave qu’à un lieu d’habitation. La fenêtre, pareille à un soupirail, s’ouvrait à hauteur d’homme et était défendue par deux barres de fer en croix. Une couchette sans rideaux, un grand coffre qui pouvait au besoin servir de siége, une table grossière, formaient tout l’ameublement. L’as-