Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/957

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
951
MISÉ BRUN.

À ces mots, il repoussa doucement la jeune femme, et l’obligea de se rasseoir devant le foyer où brûlait un feu clair ; puis il sortit rapidement, en refermant la porte derrière lui. Misé Brun resta affaissée sur son siége. Ses forces l’abandonnaient, une mortelle pâleur couvrait son visage, ses tempes étaient baignées d’une sueur froide, un souffle lent et pénible soulevait sa poitrine oppressée. Pourtant elle avait conservé toute la netteté de ses perceptions ; elle entendait battre son cœur au milieu du silence lugubre qui l’environnait, et elle distinguait dans leurs moindres détails les objets sur lesquels son regard errait machinalement. Par un singulier phénomène de mémoire locale, l’image de ces lieux, qu’elle parcourait des yeux sans les voir, resta gravée dans son souvenir, et elle fut frappée, en se les rappelant plus tard, d’un étonnement qu’elle n’avait point éprouvé à leur aspect. Elle ne prit pas garde en ce moment au contraste étrange que faisait l’ameublement élégant de cette chambre avec le reste du logis ; elle ne s’aperçut pas qu’elle était assise sur un fauteuil en brocatelle, près d’une table dont les pieds sculptés ressortaient entre les franges d’un magnifique tapis. Elle ne remarqua pas non plus que la cheminée était ornée d’une pendule, et que deux médaillons enchâssés dans une riche garniture étaient suspendus aux côtés de la glace. Dans ce trouble affreux, elle ne pouvait même plus prier. Deux ou trois fois elle essaya de se relever, mais ses genoux fléchirent, elle ne put avancer : elle n’eut que la force d’attendre.

Heureusement cette situation terrible ne se prolongea pas longtemps. Au bout d’un quart d’heure environ, des pas rapides se firent entendre dans le corridor : c’était l’étranger qui revenait. Misé Brun leva les mains au ciel avec un élan de reconnaissance, et s’écria d’une voix éteinte :

— Eh bien ! M. de Nieuselle ?…

— Vous n’avez plus rien à craindre de lui, répondit-il du ton le plus calme, — et après un moment de silence il ajouta : — Vous n’avez rien entendu ?

— Rien, murmura-t-elle en frissonnant.

Un long silence suivit ces paroles ; l’étranger s’assit en face de misé Brun et déposa sur la table ses pistolets. Il était très pâle, mais aucun trouble dans sa physionomie, aucun désordre dans ses vêtemens, n’annonçaient une lutte récente. La jeune femme, pénétrée d’une indéfinissable crainte, n’osait l’interroger encore. Son premier mouvement avait été de croire qu’une catastrophe venait d’arriver, mais