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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/958

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REVUE DES DEUX MONDES.

bientôt cette supposition lui parut absurde. Elle se tranquillisa, convaincue que Nieuselle, après s’être rendu à merci, allait passer la nuit sous clé dans quelque cave de l’auberge. L’étranger paraissait avoir oublié déjà ce qui venait de se passer ; accoudé sur la table et le front penché sur sa main, il regardait la jeune femme avec une joie pensive et comme recueilli dans une impression de bonheur qu’il savourait lentement. La pâleur de misé Brun s’effaça sous ce regard ardent ; elle baissa la vue, et dit en soupirant : — Je ne sais comment vous rendre graces, monsieur, pour le secours que vous m’avez donné. Que Dieu vous récompense… À présent, je passerai la nuit ici sans crainte… Elle s’interrompit tout à coup, frappée d’un souvenir subit, et s’écria en se dressant avec un geste d’épouvante :

— Mais que dis-je, mon Dieu ! il y a un autre danger plus grand.

— Lequel ? interrompit l’étranger.

— Cette maison est un repaire de bandits, répondit-elle d’une voix étouffée ; cette nuit, dans un moment peut-être, l’hôtesse, d’accord avec eux, nous livrera…

— Vous en avez été avertie ? demanda l’étranger sans paraître ému de cette révélation.

Elle fit un geste affirmatif, et reprit avec véhémence :

— Ne songez pas à résister, ce serait une tentative folle et inutile. Il ne s’agit plus d’un lâche qui tremble et s’humilie à la première menace d’un homme de cœur, il s’agit d’une troupe de bandits résolus et accoutumés au meurtre. Ils vous tueront si vous essayez de vous défendre ; mais vous ne vous défendrez pas ; vous leur laisserez prendre tout ce que nous possédons. Eh ! qu’importe, pourvu que la vie soit sauve ?

Tandis qu’elle parlait ainsi, l’étranger la considérait d’un air calme et attendri qui contrastait étrangement avec l’effroi qu’elle manifestait. — Vous ne me croyez pas ! dit-elle désolée ; il vous semble que la peur me tourne l’esprit ; plût à Dieu que cela fût ainsi ! Mais vous le verrez ; cette nuit, nous serons dépouillés par la bande de Gaspard de Besse.

— Il faudrait alors que je lui ouvrisse moi-même la porte de cette maison, répondit l’étranger, car en voici les clés, et il n’y a pas moyen d’y pénétrer sans mon consentement.

— Ah ! nous sommes sauvés ! murmura la jeune femme avec un élan de reconnaissance et de joie. Puis ses yeux se remplirent de larmes, et elle demeura un moment immobile, le visage appuyé sur