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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/964

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Eh ! eh ! c’est à cette question que je vous attendais, répondit-il en se frottant les mains ; figurez-vous que j’avais la plus belle boutique de la foire, et que les gens faisaient foule à l’entour. C’était comme une fureur pour voir Rose ; le monde se battait, afin d’aborder jusqu’à elle. Chacun la célébrait : on a fait des chansons à sa louange ; mais je dois déclarer qu’elle ne s’est guère souciée des complimens et des propos aimables de tous les freluquets qui assiégeaient notre étalage. Au lieu de les écouter d’un air agréable, elle semblait toute contristée, et plus d’une fois elle avait les larmes aux yeux.

— Il ne faut pas trop se fier à ces apparences, murmura la tante Marianne en secouant la tête ; les femmes qui n’ont aucune inclination cachée ne sont ni gaies ni tristes, et l’humeur mélancolique de la tienne me donne beaucoup à penser.

Le dimanche suivant, l’orfèvre, qui était allé faire ses dévotions à la chapelle des pénitens bleus, rentra son tricorne avancé sur les yeux et les mains au fond de ses poches, ce qui était chez lui le signe d’une grande agitation d’esprit.

— Vous me voyez saisi, dit-il en abordant sa femme et la tante Marianne ; savez-vous la nouvelle qui court dans la ville ? Un jeune homme qui m’avait fait dernièrement l’honneur d’entrer dans ma boutique, le marquis de Nieuselle, a été assassiné au logis de l’Esterel…

— Il est mort ! s’écria misé Brun en pâlissant.

— À mauvais sujet, mauvaise fin, murmura Madeloun.

— Il s’était apparemment arrêté dans ce coupe-gorge, reprit l’orfèvre ; son corps a été retrouvé au fond d’une salle basse, le visage contre terre. Il avait une balle dans la tête. On ne met pas en doute qu’il n’ait été assassiné par Gaspard de Besse ou par quelqu’un de sa bande. Grand Dieu du ciel ! la nuit que nous étions au logis de l’Esterel, nous pouvions avoir le même sort !

— Tu peux brûler un cierge à l’autel de la sainte vierge Marie, dit la tante Marianne frappée de l’impression profonde que la nouvelle de ce malheur produisait sur misé Brun ; va, Bruno, tu as peut-être plus de bonheur encore que tu ne crois !

Ce fut ainsi que la jeune femme apprit la terrible preuve de dévouement que lui avait donnée M. de Galtières. Elle en ressentit une impression étrange, mêlée de reconnaissance et d’horreur. Son esprit revenait sans cesse sur toutes les circonstances de cette nuit fatale et les commentait avec une horrible et involontaire persévérance. Elle s’expliqua alors pourquoi M. de Galtières avait quitté le