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MISÉ BRUN.

tiste ; à sa gauche, un peu en arrière, était le bourreau. Après venaient les pénitens bleus, qui devaient entourer l’échafaud et porter sur leurs épaules la bière du supplicié.

Misé Brun cherchait toujours M. de Galtières dans un groupe nombreux arrêté en face de sa maison ; mais, lorsque le condamné ne fut plus qu’à quelques pas, elle tourna involontairement les yeux sur lui. Ses yeux se fermèrent aussitôt ; elle ne le vit pas, et elle le reconnut pourtant, car ses genoux fléchirent, et elle se retint au bras de Madeloun, qui, pâle, éperdue, murmura : — M. de Galtières !… c’est lui !…

Comme elle disait ces mots, le fatal cortége avait déjà passé. Misé Brun rentra dans sa maison, et alla machinalement s’asseoir à sa place accoutumée. La tante Marianne se mit devant l’autre fenêtre, et, ouvrant son livre de messe, commença les prières pour les morts ; ensuite les deux femmes prirent leur travail, et la journée s’acheva comme les autres journées.

L’orfèvre, en rentrant dans l’après-midi, se hâta d’ouvrir sa boutique et de reprendre son travail ; mais le soir, à la veillée, il eut le temps de raconter les bonnes œuvres auxquelles il avait participé ce jour-là. — Je puis rendre témoignage des derniers momens du fameux Gaspard de Besse, dit-il avec satisfaction ; il est mort très courageusement. La torture ne lui avait rien fait avouer : il n’a déclaré devant la justice ni son origine ni sa vie ; mais, avant de se remettre entre les mains du bourreau, il a fait sa confession au père Théotiste, qui lui a donné l’absolution et n’a cessé de le consoler et de l’exhorter jusqu’à ce qu’il ait rendu le dernier souffle.

Misé Brun écouta ces détails d’un air triste et calme ; son mari remarqua seulement qu’elle était plus pâle que de coutume.

Le lendemain matin, elle se sentit tout à coup malade. La tante Marianne et Madeloun la mirent au lit. Le soir, elle était à l’agonie ; mais le ciel ne permit pas qu’elle fût si tôt délivrée : elle vécut quelques années encore dans les pratiques d’une austère dévotion. Ce ne fut que long-temps après le supplice de Gaspard de Besse qu’elle reçut des mains du père Théotiste le missel qu’elle avait donné dans le cloître de l’église de Saint-Sauveur, et dans lequel le condamné avait fait ses dernières prières.

— Ma fille, dit le bon moine en le lui rendant, Dieu nous appelle à lui par des voies différentes ; le repentir et la vertu mènent également au ciel.


Mme  Ch. Reybaud