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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/968

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REVUE DES DEUX MONDES.

pleines de monde comme un jour de grande fête ; c’est cette après-midi qu’on amène Gaspard de Besse et deux scélérats de sa bande qui ont été pris avec lui ; je vais les voir arriver, cela me récréera.

— Oh ! murmura la jeune femme, des malheureux si chargés de crimes, et qui vont en subir le châtiment !

— Leur procès ne sera pas long, ajouta l’orfèvre ; bientôt nous aurons de la besogne à la confrérie.

Huit jours plus tard, une certaine agitation régnait dès le matin dans la maison de l’orfèvre. Bruno Brun était sorti de bonne heure pour se rendre à la chapelle des pénitens bleus, et les trois femmes, réunies dans l’arrière-boutique, prêtaient une morne attention aux clameurs qui, de temps en temps, s’élevaient au dehors.

— Il est inutile d’arranger l’étalage, dit la tante Marianne à Madeloun : on ne vendra rien aujourd’hui ; entr’ouvre seulement les vantaux, afin qu’on puisse voir ce qui se passe dans la rue. Il y a foule déjà, j’en suis sûre.

Un moment après, Madeloun revint : — Entendez-vous, entendez-vous les cloches ? Gaspard de Besse monte à Saint-Sauveur pour faire amende honorable avant de mourir. Dans un instant, il va passer. Tout le monde court pour le voir, on s’étouffe dans la rue.

— Sortons un moment sur la porte, dit la tante Marianne en se tournant vers misé Brun.

— Oh ciel ! pour voir ce malheureux ! répondit la jeune femme d’une voix altérée, non, non, le cœur me manque rien que d’entendre les cloches qui sonnent son agonie. Je vais prier Dieu pour lui.

— Allons, venez, insista Madeloun, quand ce ne serait que pour voir le monde qu’il y a là dehors, et rentrer tout de suite. C’est un coup d’œil comme la veille de la Fête-Dieu.

À ce mot, la pensée que M. de Galtières était peut-être parmi cette foule s’offrit subitement à l’esprit de misé Brun, et, par un mouvement spontané, elle suivit la servante, qui l’entraînait par le bras.

Une multitude compacte remplissait la rue, et précédait le triste cortége qui s’avançait lentement. Un morne silence régnait dans cette foule, mais çà et là des voix enrouées, qui devaient parvenir jusqu’à l’oreille du patient, criaient une complainte sur la mort de Gaspard de Besse. Lorsque les baïonnettes de la maréchaussée parurent au fond de la rue, une rumeur sourde circula parmi les spectateurs pressés en haie contre les maisons, et de tous côtés on entendit : — Le voilà ! le voilà ! — Le condamné s’avançait d’un pas ferme, presque rapide. À sa droite, et le crucifix à la main, marchait le père Théo-