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barde (barda’i) pour retracer en vers, dans une épopée de soixante-neuf livres, l’histoire de Prithwi-Radja. Ce poète, nommé Tchand, attaché en qualité de chroniqueur ou de ministre au dernier souverain hindou de Delhi, raconta les guerres du roi des éléphans, son maître, contre le roi des chevaux, prince patan, presque à la même époque où le sire de Joinville écrivait les hauts faits de saint Louis. Ils se servaient tous les deux d’une langue rude et informe ; mais l’une se mourait avec la dynastie et la gloire nationale, tandis que l’autre, encore au berceau, s’essayait à des formes plus précises, mieux arrêtées.

Ce poème de Tchand, dont la bibliothèque de Bombay possède un exemplaire incomplet, écrit en caractères anciens et défigurés comme la langue elle-même, semblait destiné à clore, par un récit douloureusement historique, la série de chroniques fabuleuses, d’héroïques légendes qui sont la base des traditions indiennes, le Mahabarata, le Ramayana, le Raghouvansa. Il fut très probablement rédigé à la fin du XIIe siècle, quelques années avant que le nouvel idiome, né de l’islamisme, eût reçu sa sanction et donné ses prémisses de poésie. Un écrivain persan, plus célèbre en Europe que Firdouci lui-même, Saadi de Chiraz, le gracieux auteur du Bostan et du Gulistan, composa, dans un de ses nombreux voyages à travers l’Inde, les premiers vers ourdou que l’on connaisse[1]. Ces vers furent écrits à Somnath, dans ce lieu de pèlerinage si révéré des Hindous, que Mahmoud le Gaznevide avait ruiné en 1022, près de cette même pagode dont les portes, jadis emmenées par les vainqueurs, viennent d’être pompeusement rapportées du pays des Afghans au milieu du peuple de l’Inde, comme pour lui faire comprendre que l’armée anglaise a entrepris sa dernière campagne dans le seul but de reconquérir cette relique chère à l’idolâtrie. Sans doute, il ne fallait rien

  1. Ce poète distingué passa plus de soixante ans à voyager et à écrire ; il visita plusieurs fois Delhi, fut fait prisonnier par les croisés et employé par eux aux fortifications de Tripoli de Syrie. La biographie de Saadi a été donnée, avec de curieux détails et un portrait fait dans l’Inde, par M. Garcin de Tassy, professeur à l’école des langues orientales, dans un remarquable article inséré au no de janvier 1843 du Journal Asiatique. On trouve des renseignemens nombreux et variés sur le sujet qui nous occupe dans un savant ouvrage du même professeur, intitulé Histoire de la littérature hindoue et hindoustani. Le premier volume, publié en 1839, renferme une nomenclature et une biographie succincte de plus de sept cents écrivains classés par ordre alphabétique ; le second, qui doit paraître prochainement, contiendra de nombreux extraits des principaux ouvrages écrits dans les deux dialectes modernes de l’Inde.