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DE LA LITTÉRATURE MUSULMANE DE L’INDE.

moins que l’exemple d’un des plus grands écrivains dont s’honore la littérature musulmane pour encourager dans une voie non encore explorée les poètes de l’Inde, habitués à étudier la langue arabe avec un respect religieux, à vouer à la pratique de la langue persane un culte exclusif. Familiarisé avec les ressources de l’art, initié à tous les secrets du rhythme, Saadi jugea que l’idiome moderne de l’Hindostan était mûr pour la poésie ; il engagea ses coreligionnaires à doter leur patrie d’une littérature nouvelle qui lui fût propre. Kosrew de Delhi, qui avait connu le poète voyageur dans sa vieillesse, suivit ses conseils et essaya de marcher sur ses traces ; toutefois il ne le fit qu’avec une timidité extrême, car on a de lui un moukhammas (espèce de ballade) où le cinquième hémistiche de chaque strophe est en persan, et un gazal (petite ode), pour ainsi dire bicolore, où le premier hémistiche de chaque vers seul est en hindoustani. Mais dans un âge avancé Kosrew écrivit des stances dont le souvenir s’est conservé parmi le peuple, et qu’on chante encore ; on peut donc lui appliquer ce que disait Pétrarque d’un troubadour provençal, Arnaud Daniel :

Anchor fa honor con suo dir novo è bello.

Voué dans ses derniers jours à la vie contemplative, zélé dans la voie du spiritualisme, Kosrew, qui venait de saluer par ses vers une ère nouvelle, ne put survivre à un sofi dont il s’était fait le disciple, et mourut en 1315 ; on lui éleva une tombe, disent les biographes, parmi celles où reposaient les sages de son temps, dans un endroit délicieux de Delhi.

Ces premiers essais n’étaient significatifs que pour une partie peu nombreuse de la population ; les individus et les peuples des provinces qui rejetaient l’islamisme, ou résistaient à l’invasion, continuaient d’écrire, comme ils le font encore aujourd’hui, dans ces dialectes appauvris, mais purs de tout langage étranger, sous l’invocation brahmanique de Çri Ganeçaya nama (honneur au dieu de la sagesse Ganeça), par opposition à la formule arabe bism’illah, etc. (au nom du dieu clément et miséricordieux). Fidèles à l’ancien système graphique et aux traditions d’un langage bien altéré, ils le vénéraient, comme Dante la langue de Virgile :

O gloria de’ latin…, per cui
Mostro cio che potea la lingua nostra !…

Cependant, dans la première moitié du XVIe siècle, quand Baber