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montre un côté très vrai dans son mensonge, et, parce que le portrait est ressemblant, il a un charme qui plaît de prime-abord et qui vaut la peine d’être étudié. Boucher ne doit trouver en nous qu’un blâme presque bienveillant ; son individualité subsiste, on la regarde encore même qu’on ne l’accepte plus. Non, cette peinture n’a pas une valeur absolue dans les annales de l’art ; c’est à peine un épisode d’un intérêt très restreint, puisque c’est une dégénérescence. Entre deux époques sérieuses, cette frivole période s’efface. Le XVIIIe siècle est le fils prodigue et débraillé d’un âge digne et grave. Boucher est à Lesueur ce que Fontenelle est à Corneille. L’afféterie, le faux goût, ont tourmenté les types, l’esprit a gâté le naturel, et la beauté, cette loi éternelle de l’art, n’est plus désormais qu’un gracieux caprice.

Boucher semble-t-il réclamer un jugement approfondi ? En disant qu’il fut le peintre des graces coquettes, n’a-t-on pas tout dit ? En consultant plus familièrement sa personne et son œuvre, on n’ose prononcer ainsi d’un seul mot. Plus d’une grande inspiration a passé dans son ame, plus d’une fois le souvenir de Rosine a tressailli dans son cœur. La nature a sur nous des droits éternels ; nous avons beau la fuir, elle nous ressaisit toujours. Ne jugeons donc pas Boucher au passage, feuilletons son œuvre d’une main patiente. N’y a-t-il donc rien de grand ni rien de beau sous ces séductions mensongères ? La lumière du soleil et la lumière de l’art n’ont-elles jamais éclairé ces paysages et ces figures ? Boucher n’a-t-il pas une seule fois saisi la vérité de la nature et de l’art ?

La grande galerie du Louvre n’a pas un seul de ses tableaux. Il me semble cependant qu’il a bien mérité une petite place en belle lumière entre ses amis Watteau et Greuze. Qui donc se plaindrait de voir comment peignait il y a cent ans celui qui devint premier peintre du roi, directeur de l’Académie et des Gobelins ? Pour ceux qui étudient, il y aurait à faire de curieuses comparaisons ; pour ceux qui ne cherchent qu’une distraction de l’esprit, il y aurait de jolis horizons de plus. On a en France une singulière façon d’être national. On fait si bien l’hospitalité aux étrangers, qu’il ne reste plus de place pour les gens du pays. Depuis quelques années, il est vrai, on a daigné accorder un asile à Boucher dans une galerie mal éclairée, celle du bord de l’eau, qui ressemble fort au cimetière de l’art, à en juger par le silence et la solitude qui y règnent. Il y a donc là deux tableaux du peintre de Louis XIV, les premiers chapitres de ses Amours pastorales. Rien n’est plus doux au regard ; on s’avance émerveillé, l’œil se perd dans le mystère voluptueux du paysage, on sourit