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Quel est donc ce sujet ? — L’amour.

Oui, l’amour, et non pas l’amour divin, mais l’amour humain, avec le cortége de ses grandeurs et de ses misères, sublime et grossier tout ensemble, et s’adressant au corps et à l’ame. Tel est bien le sujet qui a inspiré à Pascal un discours à la manière de ceux du Banquet, mais d’un platonisme fort tempéré, discours écrit avec la liberté décente d’un philosophe et d’un homme du monde, et avec cette connaissance approfondie de la matière que les livres ne donnent point.

Il y a plus ; ce singulier ouvrage contient jusqu’à des préceptes d’amour, bien différens, il est vrai, de ceux d’Ovide, mais qui, dans leur délicatesse même, n’expriment pas une médiocre expérience.

Je ne sais même si je m’abuse, mais en plus d’un endroit je crois sentir comme les battemens d’un cœur encore troublé, et dans l’émotion chaste et tendre avec laquelle l’auteur peint le charme secret de ce qu’il appelle une haute amitié, je crois surprendre l’écho involontaire et la révélation mystérieuse d’une affection que Pascal aurait éprouvée pour une personne du grand monde. On ne parle pas ainsi d’un sentiment aussi particulier, quand on ne l’a pas eu dans le cœur. Conçoit-on d’ailleurs un homme sérieux, comme Pascal, s’amusant à disserter sur l’amour pour faire parade de bel esprit ? Pascal n’a jamais écrit que sous l’empire d’un sentiment irrésistible qu’il soulageait en l’exprimant. C’est l’homme en lui qui suscite et soutient l’écrivain. Ou je me trompe fort, ou ce discours trahit dans la vie intime de Pascal un mystère qui peut-être ne sera jamais entièrement expliqué.

Vous voilà bien surpris ; je ne l’ai pas été moins lorsqu’au milieu d’obscurs manuscrits cet éclatant fragment m’apparut, comme une vision extraordinaire. Je crus rêver, et je me demandai si ces pages étaient bien du pénitent de M. Singlin, de l’auteur des Provinciales et des Pensées. Mais le doute était-il permis ? N’est-ce pas là sa manière ardente et altière, tant d’esprit et tant de passion, ce parler si fin et si grand, cet accent que je reconnaîtrais entre mille ? À ce trait piquant et calculé vous soupçonneriez La Bruyère ; mais à côté ce trait énergique et la grandeur de la phrase entière vous désabusent. Le sujet seul ne permet pas de penser à Bossuet. Reste Descartes ; mais, je l’ai déjà dit, dans Descartes l’art a trop manqué au génie. Il faut donc que ce fragment soit de Pascal ; il est signé de ce nom à toutes les lignes.

Et puis, ce n’est pas une simple conjecture de mon esprit. D’au-