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LIVERPOOL.

femmes, les enfans, assis par centaines sur des bancs où ils savourent avec un plaisir morne les illusions contenues dans un verre d’eau de feu. Je ne sais pas de plus affligeant contraste que celui d’une population en guenilles s’enivrant dans un palais. Et comment les enfans ne seraient-ils pas initiés, dès leur bas âge, aux mêmes excès que leurs pareils ? Quand il n’y a pas de pain dans la maison ni de chaleur au foyer, le père de famille les envoie, avec son dernier penny, chercher du genièvre ou du whiskey, et ceux-ci doivent prendre une bien haute idée d’un genre de consolation auquel on sacrifie tout !

Les salons sont des lieux de réunion qui forment un café au rez-de-chaussée, et au premier étage une salle de théâtre, de danse ou de concert. Ces établissemens se multiplient aujourd’hui dans toutes les villes ; il y en a pour tous les goûts et pour tous les rangs de la société. Les salons fréquentés par les commis (clerks) et par les marchands ont un certain air de bonne compagnie ; les femmes n’y sont pas admises, et pendant que les habitués boivent, le propriétaire chante ou exécute au piano les airs des opéras nouveaux. Dans quelques autres, des couples, qui viennent de se former au coin de la rue, assistent conjugalement à des scènes de mimique ou de ventriloquie. Un de ces établissemens est tenu par un gros homme de bonne humeur, qui passa long-temps pour la fleur des pugilistes, et que l’Angleterre boxante avait élu pour son champion officiel, James Ward ; il achève, dans cette spéculation que son nom fait prospérer, une fortune commencée dans les combats singuliers et dans les paris. Ailleurs, on ne reçoit que des matelots, et quand ils ont échauffé leur imagination à boire du grog, dans les stalles du rez-de-chaussée, on leur sert au premier étage des parades militaires et des farces appropriées à leur goûts grossiers. Les filous de profession ont aussi leurs amusemens publics. J’en ai vu deux ou trois cents dans une salle assez semblable au Café des Aveugles, où on les régalait de chansons grivoises et de vaudevilles salés ; mais le lieu, malgré une sorte d’ordre apparent, n’avait rien de bien sûr, et je n’y restai que le temps de me faire désigner, parmi ces visages sinistres, les habitués les plus réguliers de la prison.

Le nombre des prostituées va croissant à Liverpool comme à Londres. À ne consulter que les documens officiels, il était de 1,902 au 1er janvier 1838, de 1,695 en 1839, de 2,394 en 1840, de 2,683 en 1841, et de 2,900 en 1842. Les comptes-rendus de la police signalent 770 maisons suspectes, 246 garnis fréquentés par les mendians,