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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/1034

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REVUE DES DEUX MONDES.

Grands dieux qui m’écoutez, à genoux, sur l’autel,
Fantômes d’un moment qui vivez de mon ame,
Dites, avez-vous vu, sur un vaisseau sans rame,
Passer mon amant éternel ?


Peut-être viendra-t-il, ce soir, là, sur la plage ;
Mais toujours, même unis, l’abîme est entre nous.
Sans hymne, sans flambeau, dans une nuit d’orage,
D’un astre pâle et froid mes noces sont l’ouvrage,
Le vide abîme est mon époux.


Lentement, dans le gouffre où surnage l’étoile,
La Sirène descend ; lentement, sous son voile,
Son cœur, en palpitant, fait palpiter le flot.
Au loin, le golfe ému berce le matelot.
Mais la voix pour toujours se tait autour des îles.
Sans l’hymne, les sillons jaunissent infertiles.
Tout reposait sur l’hymne, et tout meurt avec lui,
Temple, autel chancelant sous l’immortel ennui.
Sur son rhythme brisé tout un monde s’écroule ;
De son vase qui fuit, l’éternité s’écoule ;
L’eau sainte avec le chant décroît dans Ilyssus ;
Et le concert fini, les dieux ne trouvent plus
Que temples prosternés, le front sous la poussière,
Klephtes, pachas, Delhis, à travers la bruyère,
Et près d’un scorpion rampant dans un tombeau,
Le roseau d’Eurotas qui siffle au bord de l’eau.


Edgar Quinet.