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œuvre, et on peut apprécier aujourd’hui ses résultats. Un esprit mesquin s’empare, hélas ! de la poésie et lui retranche l’idéal. Personne n’y a plus contribué que les écrivains des Annales de Halle. Les deux fondateurs de ce recueil, MM. Ruge et Echtermeyer, avant de se jeter dans la polémique, étaient connus par des études assez sérieuses sur l’art et la poésie ; mais bientôt, appliquant à ces études les principes dont ils s’étaient faits les apôtres, ils furent amenés à prêcher une poétique toute grossière. Une religion sans dieu, un art sans idéal, c’était là le bien absolu qu’on avait enfin réalisé. M. Ruge attaquait d’abord l’école romantique, mais bientôt on vit que sous ce nom c’était l’essence même de toute poésie qui était condamnée. Ruckert, le dernier des maîtres chanteurs, fut attaqué avec cynisme. Et pourquoi tous ces affronts à la vraie poésie nationale ? Pour introduire sur ses ruines on ne sait quels écrivains obscurs et médiocres. Quoi de plus ? On avait purifié le ciel, selon M. Bruno Bauer, en rejetant Dieu ; il restait à purifier les horizons de l’Allemagne, à chasser, comme les fantômes d’une superstition surannée, toutes les filles des maîtres, toutes les créations d’un art trop spiritualiste. Les chastes héroïnes de Goethe, de Schiller, de Jean Paul, de Klopstock, Thécla, Clara, Liane, Linda, Marguerite, Abbadona, s’évanouirent dans le vide, et M. Herwegh put accorder sa lyre. Je m’assure que M. Herwegh n’eût pas obtenu le succès immérité qu’on lui fait dans son pays, si le gouvernement prussien n’avait commis la faute grave de vouloir entraver les premières apparitions de cette poésie politique. La destitution violente dont M. Hoffmann de Fallersleben fut frappé, il y a deux ans, pour son recueil de chansons, fit accueillir avec empressement ce poète nouveau, plus jeune et plus ardent. M. Herwegh est presque devenu un chef de parti, et il publie à Zurich un journal qui est, depuis la suppression des Annales de Halle, l’organe le plus violent de la jeune Allemagne. Que dire enfin ? Cette fièvre de politique est partout : c’est M. Herwegh, c’est M. Prutz, c’est M. de Sallet, qui croient avoir trouvé la véritable poésie de leur pays ; c’est un historien littéraire, M. Gervinus, qui dans ses études, estimables d’ailleurs, sur le développement de la poésie allemande, ne juge toutes choses qu’à ce point de vue si vulgaire de l’utilité pratique, de l’utilité immédiate ; ne soyez pas surpris s’il condamne, sous le nom d’art romantique, tout ce qui porte les reflets d’un idéalisme qu’il ne sait pas comprendre. L’Allemagne a renoncé à ce qui faisait sa gloire, elle a essayé de l’action, mais c’est un génie qui lui manque. Je vois bien qu’elle repousse ses poètes, mais je cherche