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SITUATION INTELLECTUELLE DE L’ALLEMANGNE.

vainement par quels écrivains politiques elle les a remplacés, et j’ignore quel est son publiciste depuis Louis Bœrne. Pauvre et honnête Louis Bœrne ! si franc, si loyal, si convaincu ! C’est le modèle qu’il faut recommander sans cesse à ses successeurs ; ses écrits, remplis de sérieuses études et animés, malgré un point de vue différent, de véritables sympathies pour la France, seront toujours pour eux un exemple et un reproche.

Toutefois, la crise où les peuples allemands sont engagés était inévitable peut-être, et je ne voudrais pas que mes paroles eussent été trop dures. Dans ce travail qu’ils font pour atteindre leur unité, comment n’aurait-il pas des heures douloureuses ? Au moment où l’Allemagne était le plus divisée, et lorsque le nord et le midi, séparés par l’épée de Napoléon, se combattaient, on vit l’unité se fonder d’abord dans l’esprit, dans la pensée, dans la poésie ; les poèmes de Goethe, les drames de Schiller, les systèmes des philosophes, de quelque pays qu’ils vinssent, furent comme la patrie véritable où des milliers d’hommes, ennemis dans le monde d’ici-bas, se reconnurent et se saluèrent. Sans doute cette union première était plus grande, plus noble, et il y avait là une beauté toute sainte ; mais cela ne suffisait pas, et je comprends qu’il ait été nécessaire d’accomplir dans le monde réel ce qui avait été obtenu par les idées. Ce travail est rude et périlleux. Si l’Allemagne ne s’y montre pas aussi belle qu’autrefois, c’est la condition, après tout, de cette tâche nouvelle. Qu’on la blâme ou qu’on la plaigne, si on la voit renoncer complètement à ce qui faisait sa force et se livrer en proie au vertige qui l’a frappée, il ne faut pas cesser de la rappeler à elle-même et à son génie.

Que résulte-t-il de ce qui précède ? Je disais en commençant que tout se porte en Allemagne vers l’unité, vers un mouvement commun d’idées, et que cette tendance doit établir quelque part un centre actif qui dominera le reste de l’Allemagne, bien que ce pays n’ose pas encore se l’avouer à lui-même. Les universités secondaires, qui autrefois représentaient chacune un esprit particulier, s’effacent de plus en plus, et il eût été, à cause de cela, inutile et impossible de les faire entrer dans cette étude. Trois villes seulement, les trois capitales de l’Allemagne, ont conservé une physionomie distincte, et parmi ces trois villes, il y en a une qui chaque jour attire à elle le mouvement de l’esprit, et devient le foyer unique des travaux de la pensée. Bien que la Prusse n’ait plus aujourd’hui, comme sous Frédéric-Guillaume III, la direction calme et régulière de la science, elle est toujours le centre de la vie. C’est dans son sein que se pas-