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sent les agitations dont je viens de parler. On l’attaque, on lui adresse les reproches les plus amers ; mais ces mécontentemens attestent encore le haut rang qu’elle a conquis. Pourquoi, parmi tant d’écrivains, n’en est-il un seul qui, dans les questions générales, s’adresse à l’Autriche ou à la Bavière ? Parce que c’est la Prusse toute seule, ils le savent bien, qui est chargée désormais des destinées de l’Allemagne. Tandis que l’Autriche se retire de plus en plus de la société germanique, tandis que, tournée vers le midi, elle ne peut empêcher ses provinces slaves de parler plus haut qu’elle et de chercher dans leurs traditions une vie qu’elle n’a pas, tandis que Munich s’habitue chaque jour davantage à ne plus être qu’un lieu de repos, une paisible assemblée de vieillards lassés de la vie, la Prusse, au contraire, demeurera toujours le champ de bataille des idées allemandes. Pour tout dire enfin, les états du midi possèdent des constitutions ; mais qu’est-ce que ces fictions vaines tant que la Prusse n’aura pas tenu ses promesses sur ce point ? Une constitution sérieuse, la liberté de la presse, la publicité des tribunaux, pour que toutes ces choses, depuis si long-temps espérées, aient une valeur réelle, il faut, c’est la ferme pensée de l’Allemagne, il faut que ce soit la Prusse elle-même qui les accorde. Il est vrai que, troublé par ce mouvement de la politique, surpris et jeté hors de ses voies, l’esprit allemand a paru abandonner sa grandeur, et le tableau que nous avons présenté est triste et pénible ; mais ce n’est là, nous l’espérons, qu’une crise passagère, et le génie de l’Allemagne en sortira victorieux. Quant à ce besoin d’unité, marque certaine de la maturité des peuples, fera-t-il plus encore ? Faudrait-il croire qu’il doit mettre un jour entre les mains de la Prusse le gouvernement politique, comme il lui a donné déjà le gouvernement intellectuel ? Telle est, je le sais bien, la secrète ambition de l’Allemagne du nord ; mais cela ne saurait arriver sans une révolution considérable et qu’il est impossible de prévoir. Toutefois, ce gouvernement littéraire conduit certainement à l’autre, et à moins que l’Autriche et la Bavière ne lui enlèvent un jour cette supériorité, il est certain que la Prusse peut attendre les évènemens avec confiance ; car si l’antique unité du moyen-âge allemand devait se reconstituer, si le trône de Barberousse, brisé par la réforme, devait se relever un jour, celui-là n’y aurait-il pas des droits qui se serait chargé des destinées de la pensée ? ne serait-il pas nécessaire, enfin, que, parmi les successeurs de l’empire, le sceptre appartînt au plus digne ?


Saint-René Taillandier.