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colère, elle poursuit votre vengeance, elle vous sert de second. Chevalerie embarrassante et qui renverse par trop les rôles ! Le célibat des amazones est tout expliqué. Je comprends Mme de Sévigné quand elle raconte à sa fille que son plus grand soin est de travailler à son ame ; je ne comprendrais point qu’elle s’avisât de travailler à l’ame des autres. C’est là un trop rude labeur et peu fait pour les délicatesses féminines.

Le rôle de Jeanne d’Arc littéraire semble avoir été présent à Mme de Girardin, dès ses premiers débuts, comme une sorte d’idéal préféré ; mais ce fut d’abord, on doit le dire, une simple Jeanne d’Arc de salon, purement patriotique et lyrique, une Jeanne d’Arc en temps de paix, à qui le respect d’elle-même ne permettait ni la petite guerre ni les escarmouches quotidiennes. Un certain enthousiasme de l’art, le don des vers, une facture brillante, tout cela ne manquait pas ; entre deux romances, on célébrait les Grecs et le général Foy, puis il était permis de s’écrier :

Le héros, me cherchant au jour de sa victoire,
Si je ne l’ai chanté, doutera de sa gloire.

En vrais libéraux de la restauration, nous trouvions cet amour-propre tout naturel. Quand elle n’était pas froide et ennuyeuse, comme dans Madeleine (une juive quelque peu parente, à ce qu’il paraît, de Judith), cette poésie avait d’ailleurs son accent, sa vivacité, son charme. Il est vrai qu’aux heures moroses l’émotion nous paraissait un peu trop absente. Si la belle muse, en effet, versait quelquefois une ou deux larmes, il nous semblait qu’elle les essuyait aussitôt avec un de ces élégans mouchoirs dont parlent les Lettres Parisiennes, mouchoirs si jolis, qu’au moment de pleurer on se console en les regardant. Au fond, cette coquetterie, ce manque apparent de sensibilité, recelaient une qualité précieuse que la solennité voulue des appareils poétiques avait long-temps dérobée à ceux qui ne connaissaient de Corinne que ses livres. Si, au lieu de sacrifier à la pompe, Mme de Girardin avait suivi tout d’abord sa pente naturelle, elle eût été tout simplement un auteur mondain, spirituel, léger, ayant le goût de l’observation railleuse et des rimes élégantes. C’est dans le poème de Napoline, publié depuis 1830, qu’éclatèrent d’abord, et avec beaucoup de grace, ce tour moqueur jusque-là contenu, cette piquante alliance trop retardée de la rêverie et de l’ironie.

Le talent de Mme de Girardin trouvait là son vrai cadre et sa nuance : c’était un très agréable mélange du sentiment et de la mo-