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L’ÉGLISE ET LA PHILOSOPHIE.

Le gouvernement de 1830, dans les années orageuses qui ont suivi son avénement, a protégé l’église, et en cela il s’est conduit avec noblesse et justice. Aujourd’hui il témoigne au clergé la déférence la plus flatteuse. Renfermée dans des limites convenables, cette bienveillance est politique ; mais le gouvernement s’exposerait à de cruelles déceptions, s’il comptait sur la reconnaissance de ceux qu’il traite si bien. Te justum gratis esse oportet, tu dois faire le bien sans t’attendre à une récompense, disait au sage la philosophie du portique : l’état, dans ses rapports avec l’église, peut s’appliquer la même maxime, il ne doit pas espérer de retour, car l’église ne saurait se préoccuper que d’elle-même, car elle estime que ce qu’on lui accorde n’est rien auprès de ce qui lui est dû.

Se proposer ouvertement de reconquérir le pouvoir est une entreprise que l’église a reconnue peu praticable. Mais ne pourrait-on pas par des voies détournées, par des moyens lents et sûrs, arriver au même but ? Si l’église, se renfermant, à l’égard du gouvernement, dans une neutralité, sinon bienveillante, du moins en apparence inoffensive, s’adressait à la société pour lui persuader qu’en dehors du dogme et de la foi catholique il n’y a ni ordre ni morale ; si, à titre de dépositaire de toute vérité, elle réclamait l’éducation de la jeunesse en prétendant que l’Université n’est pas digne d’un tel ministère ; si, dans un concert d’attaques contre le corps laïque qui enseigne, les rôles étaient partagés, aux uns la violence, à d’autres une modération spécieuse cachant sous la politesse des formes les plus hautaines prétentions, on pourrait penser peut-être qu’il y a là des symptômes d’ambition et d’envahissement dont il faut non s’épouvanter outre mesure, mais s’occuper avec gravité.

De tout temps, les politiques ont été d’accord que c’est surtout par la manière d’élever la jeunesse que les gouvernemens jettent les bases d’une puissance durable. L’éducation, c’est l’empire. L’église ne l’ignore pas, quand elle demande qu’on lui livre les générations nouvelles. Si l’église s’emparait de l’enfance et de la jeunesse, plus tard ces enfans et ces jeunes gens, devenus des hommes, pourraient lui rendre ce qu’elle regrette. En retrouvant ses élèves dans tous les postes de la société, dans l’administration, dans les conseils des départemens, dans les chambres, que de chances, quelle autorité n’aurait pas l’église pour influencer les mœurs et arriver au changement des lois !

Que personne ne s’y trompe. Il ne s’agit pas ici seulement d’une querelle d’amour-propre entre quelques professeurs et quelques