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finit. Ce n’est pas un corps souffrant, c’est une ame mortellement blessée qu’il faudrait guérir. Vous n’y pouvez rien. De grace, monsieur, laissez-moi. — Je le pris à part et l’interrogeai. — À moins, me dit-il, que mes observations ne me trompent, cette femme n’a pas quarante-huit heures à vivre. Le mal est là, ajouta-t-il en portant un doigt à son front : elle mourra d’un transport au cerveau. — Sauvez-la ! m’écriai-je, sauvez-la, docteur, ma fortune est à vous, ma fortune et ma vie tout entière ! — Il sourit tristement et se retira en hochant la tête. Je retournai vers Arabelle, je me jetai au pied de son lit, je m’emparai de ses mains, je les inondai de baisers et de larmes. — Qu’avez-vous ? que s’est-il passé ? Pourquoi désespérer de la vie, quand la vie promet d’être belle ? Que vous ai-je fait ? Je vous aime. Si vous mourez, je meurs avec vous. Mais, voici quelques jours à peine, vous ne parliez pas de mourir. Vous reposiez votre cœur sur le mien, vous me laissiez espérer qu’ils pourraient un jour refleurir l’un et l’autre. Qu’est-il survenu ? Ai-je remué, sans le savoir, les amertumes du passé ? Ai-je touché, sans m’en douter, à quelque point douloureux de votre ame ? Parlez-moi, éclairez mes perceptions. Si le mal que je vous ai fait crie vengeance, imposez à mon amour une tâche : quelle qu’elle soit, je l’accomplirai. S’il vous faut mon sang, je le verserai avec joie. Mais on parle, on répond, on s’explique, on n’est pas sans pitié pour un homme qui pleure et supplie ; on dit du moins pourquoi on veut mourir !

Je roulais ma tête sur son lit, et déchirais la couverture avec mes dents, tandis qu’elle, debout sur son séant, m’examinait d’un œil implacable, et paraissait se repaître avec une joie féroce du spectacle de mes tortures.

— Monsieur de Peveney, dit-elle enfin, que penserait Mlle de Mondeberre, si elle vous voyait ainsi ?

À ce nom que je n’avais jamais prononcé devant elle, à ce nom qui était resté en moi comme une perle au fond de la mer orageuse, je me levai avec épouvante, et nous demeurâmes immobiles à nous regarder l’un l’autre en silence. Après avoir joui quelques instans de ma stupeur, elle me tendit froidement un papier qu’elle tenait froissé entre ses doigts. Ce papier, je le pris d’une main tremblante ; c’était ta lettre, au timbre de Clisson, datée de Peveney.

— Écoutez-moi, lui dis-je ; quand vous m’aurez entendu, vous me jugerez, et votre jugement sera pour moi celui de Dieu.

Je m’assis auprès d’elle, sur un escabeau, et me mis à lui dévoiler dans toute sa nudité cette ténébreuse et déplorable histoire. Je ne dis-