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FERNAND.

Au bout de quelques instans, elle me pria d’approcher sa lampe, et de lui donner son nécessaire de voyage. Elle écrivit quelques lignes qu’elle me remit après en avoir cacheté l’enveloppe. — Je compte sur vous, dit-elle, pour faire parvenir ce mot à son adresse. — J’examinai machinalement la suscription : j’y lus le nom de M. de Rouèvres. — Et maintenant, ajouta-t-elle en croisant, en dehors du lit, ses bras sur sa poitrine, je n’ai plus besoin de vous, monsieur de Peveney. Je vais paraître devant Dieu ; laissez-moi le prier pour qu’il me pardonne. Je compte sur sa bonté, car quel supplice pourraient imaginer sa justice et sa colère, qui ne me parût doux au sortir d’une pareille vie ?

Je m’étais retiré dans un coin de la chambre, où je priais pour elle et pour moi. Que te dirai-je ? Au bout de quelques heures, je vis, à la lueur de la lampe qui brûlait au chevet, son visage s’enflammer, ses lèvres trembler et ses mains s’agiter au hasard, comme pour chercher à saisir les spectres que la fièvre promenait autour d’elle. Aux paroles qui lui échappèrent, je compris qu’elle était en proie au délire. Je courus à elle : l’infortunée se débattait entre les bras de la mort, en criant le nom de M. de Rouèvres. Quand vint le jour, je me réveillai sur le carreau glacé ; je me levai, Arabelle était morte, et je me souvins que son dernier cri avait été pour me maudire.

Et maintenant, tâche d’oublier que j’aie jamais existé. Tu n’entendras plus parler de moi. Mort à tout ce qui vit, je vais traîner dans la solitude les misérables restes d’une existence qu’achèveront bientôt d’épuiser le remords et le désespoir.

ARABELLE À M. DE ROUÈVRES.
Monsieur,

Votre vengeance a porté tous les fruits que vous en deviez espérer. Je meurs sur la terre étrangère, dans une chambre d’auberge, entre quatre murs nus, sans autre assistance à mon chevet que celle de l’homme qui m’a perdue, si délaissée du ciel et de la terre, que vous êtes dispensé, non-seulement de me maudire, mais aussi de me pardonner. Si je vous racontais ce que j’ai souffert, vous pâliriez d’effroi, et vos larmes couleraient malgré vous. Moi qui connais mes crimes, est-ce que je ne pleure pas, en écrivant ces mots, d’attendrissement sur moi-même ? Figurez-vous que vous m’avez enfermée dans une cage de fer avec un tigre qui, par pitié,