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mes mains, je restai écrasé sous le poids du mépris qui venait de fondre sur ma tête. Jamais, non, jamais homme ne se sentit courbé sous plus de honte. J’essayai pourtant de me relever, non par orgueil, mais pour la sauver.

— Ô mon Dieu ! m’écriai-je d’une voix qu’étouffaient mes larmes, je ne suis né ni lâche ni méchant. Comment, en ne cherchant que le bien, ai-je pu faire tant de mal ? Ah ! de quelque douleur qu’il vous ait abreuvée, Arabelle, croyez-en mon cœur, ce cœur n’est point si déchu qu’il ne puisse prétendre à se réhabiliter. Ne soyez pas plus cruelle que Dieu, qui reçoit toutes nos fautes à rançon. Vivez, ne me repoussez pas. Ce n’est plus seulement ma conscience qui vous sollicite ; c’est ma tendresse qui vous presse et qui vous implore.

À ces mots, Arabelle tourna vers moi sa pâle figure.

— Que me fait votre tendresse ? me dit-elle d’une voix calme. Je vois votre erreur. Vous vous êtes tellement habitué à compter sur ma folle passion, qu’il ne vous est pas même venu à l’idée que cette passion pût s’éteindre avant moi. C’est de ce point de vue que vous raisonnez encore à cette heure. Vous croyez que je vous aime et que c’est la jalousie qui me tue. Vous vous trompez, monsieur de Peveney. Il ne m’importe guère que vous aimiez ailleurs, et si je pouvais me préoccuper de la fille que vous avez choisie, ce serait, non pour l’envier, mais pour la plaindre, car je sens que vous serez fatal à tout ce que vous aimerez ; j’ai la conviction que vous porterez partout après vous tous les malheurs et tous les désespoirs que la faiblesse traîne après elle. Plût à Dieu que vous fussiez né méchant ! vous auriez été moins funeste. Je ne vous aime plus ; c’est à peine si je vous hais. Mais ce que je hais, et de toute la force que me laisse un reste de vie, c’est l’amour que j’ai eu pour vous, c’est l’égarement qui m’a jetée dans vos bras, ce sont les doctrines qui m’ont perdue. Vous avez éclairé mon cœur en le frappant, je vous dois de comprendre et d’aimer les trésors que vous m’avez ravis. N’insistez donc pas, monsieur, pour que je vive, car nous ne sommes plus rien l’un à l’autre, et nous serons moins séparés par la mort que nous ne le serions par la vie.

Ce fut le dernier coup, ce fut le plus terrible. J’aurais pu supporter sa haine, son indifférence m’atterra. Le croirais-tu ? est-il croyable en effet que des sentimens si contraires puissent germer dans le même cœur ? Cet amour que j’avais si long-temps maudit, en le perdant, mon ame se brisa.