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FERNAND.

berre, qui vinrent s’asseoir à sa place. Elles demeurèrent d’abord silencieuses et comme absorbées dans la contemplation mélancolique du ciel vaste et pur qui étincelait sur leurs têtes. C’était une de ces nuits plus belles que les plus beaux jours. Les haies s’égayaient dans l’ombre de mille petits cris d’oiseaux qui se caressaient dans leurs nids ; les fleurs s’ouvraient pour recevoir le pollen amoureux que leur portait la brise ; les rainettes chantaient au loin sur le bord de l’eau ; plus rapprochées, les trilles du rossignol éclataient à longs intervalles.

— Que cette nuit est belle ! dit enfin Alice d’une voix douce et triste qui fit tressaillir Fernand.

Mme de Mondeberre attira sa fille sur son sein et l’y tint long-temps embrassée.

— Mon enfant, dit-elle après un moment de silence, en renouant sans doute un entretien fraîchement brisé, je crains que ton cousin n’ait raison. Tu sais, ma fille bien-aimée, si je voudrais jamais contrarier tes goûts et forcer tes inclinations. Tu sais aussi, unique et cher trésor, si je suis heureuse de te posséder tout entière, si ma tendresse s’effraie seulement à l’idée de céder une part de la tienne. Mais je vieillis, ma santé se perd, et je ne voudrais pas mourir sans te voir appuyée sur un cœur dévoué.

— Nous vivrons et nous mourrons ensemble, répondit Alice en se pressant contre sa mère.

— Enfant, reprit Mme de Mondeberre en passant ses mains caressantes sur les cheveux de la blonde tête ; ta vie commence à peine ; c’est à moi de partir la première. Ne te révolte pas, écoute-moi patiemment, mon Alice. Il faudra bien un jour nous séparer. Te laisserai-je seule, sans appui, sur la terre ? Fille de mon amour, que dirai-je à ton père lorsqu’il me demandera compte de ton bonheur ?

— Tu lui diras, ma noble mère, répondit avec orgueil Mlle de Mondeberre, que tu m’as enseigné, moins par tes leçons que par ton exemple, à chérir et à honorer sa mémoire. Tu lui diras que tu n’as vécu que pour moi seule, et que tu m’as élevée dans l’amour du beau et de l’honnête. Tu lui diras que tu m’as fait un cœur à l’image du tien.

— Ô mon enfant ! s’écria la veuve d’une voix émue, tu ne vois pas que cette tendresse passionnée que tu me rends m’abreuve en même temps de délices et d’amertume. Parfois je me reproche d’absorber à mon profit ta destinée, qui pourrait être belle ; souvent je m’interroge avec effroi. Ma fille, es-tu sûre que ta jeunesse n’élè-