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vera jamais la voix pour me maudire ? Es-tu sûre que tu ne m’accuseras pas un jour de t’avoir ensevelie dans ma solitude et associée à mon veuvage ?

— Tais-toi, tais-toi, ma mère !

Et deux ombres, penchées l’une vers l’autre, mêlèrent en silence leurs pleurs et leurs baisers.

— Écoute, dit Alice en s’agenouillant sur le gazon aux pieds de Mme de Mondeberre ; tu m’aimes, n’est-ce pas, et tu ne veux pas m’affliger ? Eh bien ! ma résolution est arrêtée depuis long-temps. Ce n’est pas d’un caprice d’enfant qu’il s’agit, mais d’une volonté calme, sérieuse, réfléchie. Je ne veux pas me marier. Tous les hommes que Gaston s’est obstiné à nous présenter m’ont paru vains, ou sots, ou laids. Qu’il n’en soit plus question entre nous. Je ne sais rien du monde et n’en veux rien savoir. Je sens qu’il n’a rien qui te vaille. Je suis heureuse auprès de toi. Pourquoi changerais-je un sort si doux pour courir les chances d’un bonheur incertain que je ne rêve ni n’appelle ? Aimons-nous et continuons de vivre comme par le passé. Je n’ai pas une autre ambition.

— Va, je sais bien que tu n’es pas heureuse ! murmura Mme de Mondeberre avec une expression de tristesse ineffable.

Alice appuya son front sur les genoux de sa mère, et ne répondit pas.

Cependant la brise fraîchissait, et déjà des gouttes de rosée brillaient à la pointe des herbes. Mme de Mondeberre s’éloigna, appuyée sur le bras d’Alice. Lorsqu’elles eurent disparu et qu’il n’entendit plus le bruit de leurs pas, M. de Peveney, plus pâle que la lune qui blanchissait le sable des allées, plus tremblant que les feuilles qu’agitait le vent, sortit du massif de lilas et vint tomber sur le banc de pierre. La tête cachée entre ses mains et se répétant à lui-même les paroles qu’il venait d’entendre, il caressait depuis quelques instans, avec une lâche complaisance, l’idée qu’Alice n’était point mariée ; il y trouvait à son insu un sentiment de joie égoïste et cruelle, quand tout à coup il s’enfuit, comme s’il avait surpris une vipère se glissant furtivement dans son cœur. Il traversa le parc au pas de course ; dans son trouble, il s’égara. Au lieu de gagner le bord de la rivière, il rabattit sur le château. Il s’arrêta pour le regarder une dernière fois, puis il reprit sa course en se dirigeant vers la Sèvres ; il était près d’en toucher la rive, lorsqu’au tournant d’une allée couverte, il se rencontra face à face avec Alice et Mme de Mondeberre.

Il y eut de part et d’autre un mouvement d’hésitation que rien