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veney avait apaisé les rébellions de sa conscience en lui criant qu’il partirait le lendemain et que cette entrevue était la dernière. Cependant il se retira sans avoir eu le courage d’annoncer aux dames de Mondeberre qu’il ne devait plus les revoir.

Rentré chez lui, il employa le reste de la nuit à s’occuper des derniers préparatifs de son départ. Au matin, il écrivit à Mme de Mondeberre pour lui dire le suprême adieu. À huit heures, les chevaux de poste qu’il avait fait commander la veille arrivèrent. En entendant claquer le fouet du postillon, il ouvrit une fenêtre et vit ses serviteurs groupés autour de la chaise qu’on était en train d’atteler. Fernand fut consterné. Depuis son retour de Mondeberre, il s’était flatté confusément que cette heure n’arriverait jamais, et qu’il surviendrait nécessairement un obstacle imprévu qui l’empêcherait de partir. Il chercha s’il n’avait rien oublié : rien ! tout était prêt. Le sort en était jeté. M. de Peveney descendit dans la cour, embrassa sa nourrice, donna ses dernières instructions à ses gens, et remit à l’un d’eux la lettre qu’il venait d’écrire. Il ne lui restait plus qu’à monter dans sa chaise, lorsqu’en l’examinant, il découvrit qu’elle avait besoin de réparations, que les ressorts en étaient fatigués, qu’elle n’avait pas été visitée depuis plus de trois ans, et qu’enfin il ne serait ni prudent ni sage de s’y embarquer pour un si long voyage avant qu’elle eût passé par les mains de son carrossier. Il consulta les assistans, et s’y prit de telle sorte que tous s’empressèrent de se ranger de son avis, et que le postillon lui-même, après avoir reçu son pour-boire, déclara que la voiture n’était pas en état de courir deux postes sans voler en éclats. Fernand reprit sa lettre à Mme de Mondeberre, et donna des ordres pour qu’on déchargeât la chaise et qu’on l’envoyât en radoub à Nantes. Ainsi son départ se trouva retardé de plus d’une semaine. Le cœur de l’homme est plein de ruses et de lâches détours. M. de Peveney parut vivement contrarié de ce retard et ne se gêna point pour en témoigner son humeur, convaincu et de bonne foi, c’est-à-dire assez fin et assez habile pour avoir réussi à se tromper lui-même.

Il n’est pas de position plus propice à l’ennui que celle d’un homme qui, ayant tout arrangé pour son départ et prêt à monter en voiture, se voit arrêté par quelque empêchement imprévu. Jusqu’au moment où l’on pourra partir, on ne sait que devenir ni comment employer le temps. On se trouve sous le coup d’un désœuvrement que rien ne saurait occuper ni distraire. On n’a plus sous la main les objets qu’on aimait. Disposée pour l’absence, la maison est un tombeau où l’on