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FERNAND.

ne saurait exprimer. Mlle de Mondeberre seule ne témoigna point de surprise ; elle demeura grave et immobile au bras de sa mère. Avant qu’aucun mot eût été prononcé, M. de Peveney s’approcha et prit une main de Mme de Mondeberre, qu’il pressa contre son cœur sans oser la porter à ses lèvres ; puis il s’inclina devant Alice, qui demeura impassible et muette. Cela fait, après quelques paroles insignifiantes échangées sans suite entre Fernand et la châtelaine, ils prirent tous trois le chemin du château.

Ce n’était pas seulement l’émotion et l’étonnement qui tenaient ainsi Mlle de Mondeberre froide et réservée. Bien qu’Alice n’eût jamais révélé le secret du mal qui la consumait, Mme de Mondeberre savait mieux qu’Alice elle-même ce qui se passait dans ce jeune cœur. Elle avait assisté pendant près de trois ans au drame le plus douloureux que puisse contempler une mère, et quoiqu’elle n’eût point d’accusation directe à diriger contre M. de Peveney, cependant, par lui et à cause de lui, cette femme avait tant souffert dans son enfant, qu’elle n’avait pu s’empêcher de nourrir contre ce jeune homme un profond sentiment d’amertume, ni se défendre, en le revoyant, d’un instinctif mouvement de terreur. Sa première impression avait été toute d’épouvante, et, encore à cette heure, l’ame agitée de sombres pressentimens, elle serrait contre son sein le bras de sa fille, comme si elle craignait qu’on ne voulût la lui enlever. Tels étaient les motifs de l’accueil glacé que recevait Fernand. Chez Mme de Mondeberre, c’étaient la tendresse et l’orgueil maternels blessés du même coup et saignant en silence ; c’était chez Alice une réserve naturelle jointe à la fierté de l’amour méconnu. Chargé de honte et de remords, M. de Peveney les suivait machinalement, sans chercher à se rendre compte du charme fatal qui l’enchaînait à leurs pas.

Ils entrèrent ainsi dans le salon ; mais lorsqu’à la lueur de la lampe Mme de Mondeberre et sa fille virent les traits dévastés de ce malheureux jeune homme, lorsque Fernand, de son côté, aperçut quels ravages ces trois années avait exercés sur le front d’Alice et sur la figure de sa mère, alors les ames se fondirent, les cœurs éclatèrent, et l’on n’entendit que des larmes et des sanglots. Aucune explication ne troubla cette scène d’épanchemens silencieux. On parla peu ; il n’y eut pas une question d’échangée ; seulement on s’observait avec attendrissement, et quand vint l’heure de se séparer, trois mains se cherchèrent et se réunirent dans une seule et même étreinte. Durant toute la dernière partie de cette soirée, M. de Pe-