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proposé de promener dans les détours tortueux d’un abîme où lui-même ne plongeait ses regards qu’avec épouvante ! Qu’aurait-elle pu comprendre à toutes ces misères ? Elle aurait refusé d’y croire, ou s’en serait éloignée avec un sentiment de pitié mêlé de dégoût. Ce qui devait arriver arriva. M. de Peveney faillit une fois encore à sa résolution. Il éluda l’épreuve à laquelle il devait se soumettre, et comme il s’était engagé par sa seule présence et qu’il n’était déjà plus temps de retourner sur ses pas, il s’abandonna cette fois encore au courant de sa molle nature.

Après qu’il eut expliqué nettement ses prétentions à la main d’Alice : — Mon enfant, lui dit Mme de Mondeberre d’une voix émue, vous savez que depuis long-temps je vous ai donné ce nom. Puisque vous l’acceptez, c’est que vous en êtes digne. Vous réalisez ainsi le plus doux rêve de ma vie ; vous exaucez en même temps les derniers souhaits de votre père. Cependant il vous reste encore à gagner le cœur de ma fille : essayez, mes vœux sont pour vous, et je ne demande qu’à reposer mes regards sur le tableau de vos amours mutuels. Alice ne m’a rien dit de ses sentimens ; je ne l’ai point entretenue de mes espérances ; puissent nos deux ames, déjà si étroitement unies, achever de se mêler et de se fondre dans la vôtre !

Cette journée s’écoula dans une douce intimité. Alice n’était point dans le secret de son bonheur, mais elle en avait comme un confus pressentiment. Elle observait avec inquiétude je ne sais quoi d’inusité sur la figure de sa mère et dans l’attitude de Fernand ; elle voyait avec émoi leurs regards se rencontrer et se sourire, et lorsque M. de Peveney se fut retiré après lui avoir baisé la main pour la première fois, elle pâlit, se troubla et s’échappa, éperdue et tremblante.

Cette nuit ne fut guère plus calme pour Fernand que ne l’avait été la nuit précédente. Il était dans la nature irrésolue de ce jeune homme de tout gâter et de ne savoir jouir de rien. Il y avait en lui, comme chez la plupart des hommes, deux êtres, ennemis acharnés, qui combattaient sans paix ni trêve ; et comme le vaincu insultait toujours au vainqueur, de quelque côté que penchât la balance, il se trouvait que la joie du triomphe était toujours empoisonnée par les clameurs de la défaite. Ainsi, à peine fut-il sorti du château, qu’il eut à essuyer les cris et les reproches de sa conscience révoltée. Heureusement il avait l’expérience de ses rébellions, et n’ignorait pas comment on les apaise. Il chercha dans son amour la justification de sa faiblesse, et, comme pour achever de s’absoudre, il répondit solennellement à Dieu du bonheur et de la destinée d’Alice.

Cette lutte fut la dernière. Il avait fait à ses scrupules et à ses re-