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à ses yeux une expression sauvage et farouche. Toutefois, il n’y avait dans son attitude, comme dans son costume, rien que de simple, de grave et de sévère.

— Monsieur, dit-il enfin, voici deux ans que je vous cherche.

— Je l’ignorais, monsieur, répliqua Fernand d’une voix altérée, mais calme.

— Vous êtes, monsieur, un trop galant homme, reprit le comte de Rouèvres, pour que mon apparition ait rien qui vous doive surprendre. Vous n’ignoriez pas que tôt ou tard nous nous reverrions à coup sûr. Cependant, s’il était besoin de vous expliquer quel sujet m’amène pour la deuxième fois chez vous, je m’y résignerais volontiers.

— Je vous comprends, monsieur, reprit M. de Peveney. Je dois convenir pourtant que je m’attendais peu à l’honneur de votre visite. Je croyais nos comptes réglés depuis long-temps ; en consultant mon cœur, je vous croyais suffisamment vengé.

— Suffisamment vengé ! s’écria M. de Rouèvres en réprimant aussitôt un mouvement de sombre courroux. Si, après avoir consulté votre cœur, vous voulez prendre la peine d’interroger le mien, vous comprendrez, monsieur, reprit-il avec sang-froid, que vous vous êtes singulièrement abusé. Daignez m’écouter ; ce sera l’affaire d’un instant.

— Veuillez vous asseoir, dit M. de Peveney en lui indiquant un siége.

— C’est inutile, répliqua M. de Rouèvres ; je serai bref. Ce que j’ai à vous raconter, vous le savez d’ailleurs mieux que moi-même. Vous m’avez arraché le cœur, vous l’avez foulé sous vos pieds ; vous avez perdu mon ame, vous y avez étouffé la foi, la confiance et l’amour, pour y substituer le désespoir, la colère et la haine. Vous m’avez fait méchant, cruel et solitaire. Me voici vieux, brisé avant l’âge, mort à tout ce qui rend la vie supportable, et ne vivant plus que de ce qui tue. Vous cependant, vous êtes jeune et libre. Un jour, et ce jour n’est peut-être pas loin, vous vous emparerez de tous les biens que vous m’avez ravis. Vous aurez une femme aimée, et vous oublierez dans ses bras le drame épouvantable dont vous aurez été le triste héros. La famille vous comblera de ses bienfaits ; vous vieillirez doucement, honoré et respecté, au sein du bonheur. Et je serais suffisamment vengé ! Mais, monsieur, vous n’y pensez pas, ajouta-t-il en étreignant de sa main le bras de Fernand ; vous ne savez donc pas ce que j’ai souffert ! vous ne savez donc pas ce que je souffre encore ! Si je pouvais vous ouvrir ma poitrine, vous y verriez les tourmens de