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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/247

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FERNAND.

l’enfer. Suffisamment vengé ! Dites, monsieur, parlez, était-ce de vous que je me vengeais, lorsque l’infortunée dont j’avais cloué l’amour à votre indifférence se débattait comme un corps plein de vie qu’on aurait lié à un cadavre ? Était-ce vous que je frappais, lorsqu’elle séchait dans les larmes et dans la honte ? Est-ce pour racheter vos égaremens qu’elle est morte loin de la patrie, dans une salle d’auberge, sans autre pitié que la vôtre ? Comment n’avez-vous pas compris que vous n’étiez alors que l’instrument de ma vengeance, et que je chercherais à le briser, cet instrument fatal, à partir du jour où il aurait consommé son œuvre ? Vous m’avez servi à souhait, monsieur de Peveney. Je n’oserais même pas affirmer que vous n’êtes point allé au-delà de mes espérances. Quoi qu’il en soit, c’est à votre tour maintenant. — Avez-vous des armes ? demanda Fernand d’une voix ferme. — Oui. — Un témoin ? — Un ami m’accompagne. M. de Peveney se souvint que Gaston se trouvait dans le voisinage. Il l’envoya quérir, et, en l’attendant, il écrivit à la hâte ses dernières dispositions. M. de B… arriva. Après lui avoir expliqué en deux mots de quoi il s’agissait : — Gaston, lui dit-il, si je suis tué, vous direz à Mme de Mondeberre que ma dernière pensée a été pour elle. Cela dit, tous deux montèrent dans la chaise de M. de Rouèvres, qui leur en fit les honneurs avec politesse. La voiture partit au galop des chevaux, et, sur l’indication de Gaston, après avoir suivi quelques instans le bord de la Sèvres, elle tourna le coteau pour s’enfoncer dans un sentier qui se perdait sous un bois de chênes.


Quelques heures après le lever du soleil, de lourdes vapeurs s’étaient amassées au couchant et avaient fini par se condenser en nuées épaisses qui envahissaient peu à peu l’horizon, et se détachaient comme une chaîne de montagnes sur l’azur embrasé du ciel. La nature semblait frappée de stupeur et d’immobilité. Pas un cri, pas un tressaillement, pas un souffle. Les feuilles languissaient dans l’air stagnant ; les oiseaux se taisaient ; les fleurs endolories se penchaient sur leurs tiges.