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FERNAND.

je ne demande et ne cherche que ton bonheur. Puisque tu es heureuse ainsi, et que ton cœur n’aspire pas à des félicités plus grandes, je ne te tourmenterai plus. Je t’avoue pourtant qu’il me souriait d’être grand’mère et de bercer mes petits-enfans. Et puis il s’offrait un parti qui me semblait devoir te convenir. Tu ne veux pas ; qu’il n’en soit plus question.

— Encore quelque fat que t’aura proposé cet impitoyable Gaston ? répliqua l’enfant d’un air dédaigneux et mutin.

— Mais non, reprit Mme de Mondeberre ; celui-là n’est pas un fat, et s’est bien proposé lui-même. Je dois même ajouter que je n’ai pas osé prendre sur moi de le décourager tout d’abord, car j’avais cru remarquer que tu le recevais sans trop de déplaisir.

— Je le connais, ma mère ? s’écria la jeune fille, qui sentit tout son sang lui monter au visage.

— Tu le connais un peu, dit Mme de Mondeberre ; c’est un gentilhomme de nos voisins que je tiens en grande estime, et à qui j’aurais confié sans hésiter le bonheur de ma fille adorée.

Alice regarda sa mère, qui souriait avec amour et paraissait appeler sur les lèvres tremblantes de l’enfant le nom qui n’osait point s’échapper de son cœur. Elle hésita ; en moins d’une seconde, ses joues pâlirent et se colorèrent du plus vif incarnat. Elle doutait, elle hésitait encore.

— C’est lui ! s’écria-t-elle enfin en tombant tout en pleurs sur le sein maternel, lorsque Mme de Mondeberre lui ouvrit ses bras.

En cet instant, la détonation de deux coups de feu retentit au loin. Ce bruit éveillait toujours dans le cœur de Mme de Mondeberre de lugubres échos : elle frissonna ; mais ce ne fut qu’une impression presque insaisissable qui se perdit bien vite dans la joie des épanchemens et des confidences mutuelles. Qui pourrait dire l’ivresse de ces deux ames qui, après trois années de souffrances silencieuses, après avoir, durant trois ans, tendu en secret vers le même but, touchaient enfin à la réalisation de leurs rêves et se rencontraient dans un même sentiment de bonheur ? Il est si doux de revenir à deux sur les douleurs du passé, lorsque le présent nous sourit et que l’avenir est plein de promesses ! Il est si charmant de se confier l’un à l’autre ce qu’on a pleuré, ce qu’on a souffert, quand les mauvais jours sont finis, et que la vie n’est plus qu’une fête !

Alice et Mme de Mondeberre étaient restées assises au bord de l’eau. De la place qu’elles occupaient, elles pouvaient voir, à travers la ramée, la petite porte du parc. Il y avait plus d’une heure qu’elles