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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/289

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SITUATION DE L’ESPAGNE.

attributions étaient semblables à celles de notre ministère de l’intérieur. Dans les provinces, la juridiction administrative fut retirée aux audiences et aux capitaines-généraux, et confiée à des fonctionnaires nouveaux, créés sur le modèle de nos préfets, qui reçurent le nom de délégués del fomento. Le principe héréditaire fut retranché des ayuntamientos. Enfin, un ordre plus rationnel et plus logique fut établi ; mais on n’avait pas compté sur l’ignorante routine des uns et sur l’entraînement révolutionnaire des autres. Le nouveau régime administratif, mal compris, mal exécuté, n’aboutit qu’à une confusion générale. La révolution de la Granja arriva, et un autre système, qui datait des cortès de 1823, fut mis en vigueur.

C’est cette loi de 1823 qui régit l’Espagne encore aujourd’hui. On ne saurait imaginer quelque chose de plus anarchique. Non-seulement elle établit le suffrage universel pour la nomination des ayuntamientos, mais elle remet tous les pouvoirs entre les mains des municipalités ainsi élues. C’est l’absolutisme rétabli au profit des conseils municipaux. L’ayuntamiento, présidé par un alcade également électif, fait tout et peut tout. S’agit-il de dresser les listes électorales ? l’ayuntamiento. S’agit-il de percevoir la plupart des contributions ? l’ayuntamiento. S’agit-il de former la garde nationale et le jury ? toujours l’ayuntamiento, et ce pouvoir exorbitant s’exerce sans contrôle. Il y a bien par province un conseil général, ou députation provinciale, investi nominalement du droit de révision ; mais ce conseil, élu de la même façon que les ayuntamientos, et n’ayant pas comme eux de force armée à ses ordres, est presque toujours ou impuissant ou complice. Quant au fantôme de préfet qu’on a conservé sous le nom de chef politique, il n’a que voix consultative. Les ayuntamientos ne relèvent réellement que des députations provinciales, qui ne relèvent elles-mêmes que des cortès.

Comment s’étonner qu’après six ans d’un pareil régime l’Espagne en soit venue à une désorganisation sans limites ? Cette loi mettrait le désordre partout ; en France même, nous n’y tiendrions pas. Nous avons déjà beaucoup de peine à marcher avec la loi municipale telle qu’elle est. Que serait-ce si le nombre des électeurs était décuplé, si le droit de nommer les maires était retiré au roi, si les préfets n’avaient pas le droit de suspendre les conseils municipaux qui s’égarent et de casser leurs délibérations ? Que serait-ce si les conseils municipaux percevaient les impôts au nom de l’état, et s’ils dressaient à volonté les listes électorales, sans autre révision que celle du conseil général de département ? Que serait-ce enfin s’ils avaient