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LITTÉRATURE ANGLAISE.

mine sombre et rechignée qui altère constamment la figure du prêtre irlandais ? J’ai rencontré une douzaine au moins de ces révérends, et, à deux ou trois exceptions près, c’était toujours la même expression fausse dans le regard, la même affectation mielleuse dans le langage. Mathew est le seul en qui je n’ai trouvé, lorsqu’il parlait des affaires publiques, aucun des préjugés de l’esprit de parti. Connaissant à fond l’état du pays, les rapports du propriétaire et du fermier, la condition des paysans, il parle de leurs besoins, de leurs différends respectifs et des améliorations que leur situation réclame, avec la plus minutieuse expérience pratique. Et en l’écoutant, quiconque n’eût pas été au courant de ses principes n’aurait pu savoir au juste s’il avait affaire à un whig ou à un tory, à un catholique ou à un protestant. Pourquoi ne pas faire un conseiller privé de cet homme si parfaitement informé, dans lequel les pauvres Irlandais ont tant de confiance, et qui a si bien employé le crédit populaire dont il est investi ? » M. Mathew doit être d’autant plus flatté de cette motion de Titmarsh que celui-ci ne la ferait pas volontiers pour O’Connell. Sans s’expliquer très catégoriquement sur le compte du libérateur, il lui lance à l’occasion des sarcasmes détournés, sur la portée desquels on ne saurait se méprendre, et qui deviennent plus clairs à mesure que le livre avance.

Le père Mathew, qui dans l’origine, et sans doute pour prêcher d’exemple, consommait des tasses de thé sans nombre et beaucoup plus d’eau qu’il n’était nécessaire, se contente maintenant d’une tasse de thé à déjeuner et d’un verre d’eau à dîner. Après le repas qu’il prit en compagnie de Titmarsh, il proposa aux dames une partie de plaisir qui consistait à visiter son cimetière. Le pronom possessif n’est pas ici sans intention, car dans cette cité des morts, bâtie sur les ruines d’un jardin botanique, la place du milieu est d’avance réservée au bienfaisant apôtre. Dieu merci ! Titmarsh ne trouve pas à gloser sur une si lugubre digestion. Pas un Français n’y eût manqué. Telle est la différence du génie national.

À propos de génie national, il nous prend envie, comme à notre auteur, de vous raconter un des récits populaires qui charmèrent l’ennui d’une soirée pluvieuse passée par Titmarsh dans une hôtellerie de Galway. Galway est une ville antique, triste d’aspect, entourée de ruines, écrasée sous le poids de son ancienne grandeur. C’est la Rome du Connaught, et cette Rome eut son Brutus, James Lynch Fitzstephen, qui, en sa qualité de lord-maire, porta un arrêt de mort contre son propre fils, convaincu d’assassinat. Puis, comme le clan de Lynch, révolté par tant de sévérité, voulait délivrer le coupable, Fitzstephen Lynch, plus féroce que Brutus, exécuta de ses mains paternelles le jugement qu’il avait rendu.

Un pareil souvenir n’est pas de ceux qu’on aime à évoquer tout seul, dans une chambre d’auberge, entre onze heures et minuit, quand le sommeil ne vient pas, et quand la mèche de votre unique chandelle affecte la forme d’un champignon qui brûle noir. Titmarsh donc, — lorsque le garçon d’auberge