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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

par la corruption politique de l’une et par le fastueux éclat de l’autre, sa cour avait reçu l’empreinte profonde des maximes et des habitudes florentines ; de son côté, le gros de la nation s’était accoutumé à recevoir l’impulsion étrangère dans toutes les circonstances décisives ; l’on voyait, depuis plus d’un demi-siècle, les uns porter leurs regards au-delà des Pyrénées, dans l’espérance de voir se reconstituer, sous l’influence austro-espagnole, la vieille unité de l’Europe catholique ; les autres attendre d’au-delà de la Manche et de la Meuse le triomphe du règne de Christ et la régénération du monde.

S’élever hardiment au-dessus de la double puissance morale qui dominait alors l’Europe, rompre avec l’empire et avec l’Espagne en même temps qu’on écrasait le protestantisme à l’intérieur, déplacer toute la politique consacrée depuis Charles-Quint pour faire de la France le centre des grandes affaires européennes ; préparer enfin une littérature qui, par ses grands côtés comme par ses défauts, fût en parfaite harmonie avec la sévère discipline monarchique imposée à la société, c’est là peut-être l’entreprise la plus hardie à laquelle se soit jamais voué un homme d’état.

Pour avoir l’exacte mesure du génie de son auteur, il ne faudrait pas apprécier une telle tentative en elle-même, et juger le fait comme on ferait une théorie. La monarchie française telle que Richelieu l’a comprise et telle que Louis XIV l’a réalisée est assurément une forme politique plus éclatante que durable, et l’on peut trouver qu’en brisant toutes les forces pour triompher de toutes les résistances, on a manqué de prévoyance autant que de modération. Cependant, lorsqu’on se place en présence des faits que Richelieu domina dans leur ensemble mais qui le dominèrent à leur tour dans les détails de ses actes et de sa vie, il est difficile de ne pas reconnaître que le ministre de Louis XIII était placé dans l’alternative de tout faucher devant lui, ou de continuer sans gloire pour lui-même et sans profit pour la France le règne impuissant des Concini et des Luynes. Les moyens termes sont le plus souvent les meilleurs, mais il est des temps où ils sont aussi les plus impraticables. Si les hommes d’état les plus éminens ne poursuivent guère deux pensées à la fois dans le cours de leur vie politique, c’est que les circonstances permettent rarement de tempérer l’une par l’autre. La lutte de chaque jour provoque celle du lendemain, et les résistances qu’on rencontre contraignent à dépasser le but lorsqu’on n’aspirait qu’à l’atteindre.

En étudiant la vie et le ministère de Richelieu, nous verrons que