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cette excuse ne manque ni à ses torts, ni à ses violences : en jetant un coup d’œil sur les temps qui l’avaient précédé, nous nous assurerons aussi que la pensée d’unité absolue à laquelle il dévoua sa vie était la seule qui pût alors arracher la France aux mesquines ambitions qui menaçaient son intégrité, troublaient son repos et arrêtaient son essor. Pressé entre des intérêts également intraitables, Richelieu ne pouvait opérer ni une conciliation ni une transaction, et semblait prédestiné à un rôle de révolution et de dictature. Il l’accepta, non pas comme on aurait pu faire avec une fermeté résignée, mais avec une satisfaction intime, parce qu’il était de la famille de ces hommes redoutables chez lesquels le cœur ne vient jamais déranger les calculs de l’esprit, et qui sont pour les nations des fléaux impitoyables, lorsque la Providence ne leur a pas accidentellement départi une rigoureuse mission de salut.

On ne comprend les temps du cardinal que par ceux de la régence, car ce sont les misères des uns qui font la grandeur et la justification des autres. Pour peu qu’on étudie avec quelque attention cette époque si inquiète et si troublée, on doit rester convaincu que la France ne pouvait se maintenir dans la situation incertaine et violente où elle était placée depuis la réforme, et qu’un changement dans sa constitution intérieure était devenu inévitable. Si la royauté ne s’était jetée en travers d’un mouvement de dissolution rapide pour le dominer à son profit, il fallait ou que le protestantisme triomphât dans ses conséquences politiques en brisant l’unité nationale, ou qu’une féodalité nouvelle se reconstituât au profit des princes du sang et des grands du royaume qui dominaient l’état et le rançonnaient alors sans résistance comme sans pudeur. Henri IV n’est un si grand roi que parce qu’il a suspendu pour quelques années le cours d’une crise nécessaire, et contenu par une habileté consommée les factions toutes prêtes à reprendre non plus une lutte de doctrines, mais une lutte de grossiers intérêts. Sa clémence et sa loyauté calculées lui facilitèrent cette tâche laborieuse, qui n’était possible que pour un prince dont les antécédens offraient des gages à tous les partis, des garanties aux intérêts les plus opposés. Combien d’inquiétudes et d’angoisses ne déchiraient pas l’ame du Béarnais lorsque, vieilli et lassé, il méditait, dans sa solitude de Fontainebleau, sur les destinées de ce royaume si divisé contre lui-même, dans lequel le nom de Philippe d’Espagne ou d’Élisabeth d’Angleterre était, par un grand nombre, plus respecté que le sien !