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nouveau aspirant à se produire ? Le scandale de ces factions égoïstes ne dépasse-t-il pas encore celui de nos plus honteuses manœuvres parlementaires ? Pendant que l’Angleterre fondait sa liberté politique et sa grandeur maritime, et que la Hollande s’élevait au premier rang des nations ; tandis que les deux grandes moitiés de l’empire de Charles-Quint dominaient encore l’Europe en s’appuyant l’une sur l’autre, la France se débattait indifférente et lassée entre les concinistes et les Barrabas[1], et commençait cette guerre de chansons qui ne devait finir qu’à la virilité de Louis XIV ; elle voyait les défenseurs naturels de sa glorieuse unité s’associer tour à tour, sans pudeur comme sans remords, aux huguenots et aux Espagnols, non plus pour servir les intérêts d’un grand parti, mais pour faire leurs propres affaires. Aucun esprit politique dans l’aristocratie dominée par cette haute féodalité princière, et qui ne conserve plus de ses temps héroïques qu’un courage déréglé et un besoin fébrile de duels ; aucun sentiment national dans le parlement, qui, hors de la distribution de la justice civile où il est admirable, n’entre dans les grandes affaires que pour les brouiller ; aucun prestige dans la royauté représentée par une femme galante et par un roi valétudinaire ; chez la bourgeoisie concentrée dans ses affections municipales, peu ou point d’intelligence des intérêts publics ; enfin l’Espagne et l’empire dominant le mouvement de l’Europe, telle est la France à l’ouverture du siècle qui, entre tous les autres, allait bientôt conquérir le nom de grand.

L’homme qui arrêta court ce progrès sensible vers une décadence générale, qui fit ou prépara deux grands règnes, a jusqu’ici à peine été nommé dans ces pages, et pourtant il nous semble qu’il les remplit déjà tout entières. En assistant à un pareil spectacle, on devine que cet homme va venir ; on comprend qu’il faut qu’il vienne, et la corruption de la société semble justifier d’avance devant Dieu et devant l’histoire les terribles moyens qu’il emploiera pour en renouveler la face. Mais comment conquérir la force que présuppose une pareille entreprise ? Comment s’imposer à la royauté accoutumée aux complaisances de favoris médiocres, à cette haute féodalité qui a fait capituler le monarque à Loudun et à Sainte-Menehould, et qui vient de livrer à la foule ameutée par ses laquais les restes profanés du maréchal d’Ancre ? Une pareille tâche serait des plus ardues

  1. Sobriquet donné aux partisans du prince de Condé, et dont l’origine est diversement expliquée par les historiens.