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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

pour qui se trouverait dans le cas de l’entreprendre avec la ressource de puissantes alliances et d’un haut patronage tout formé. Combien dès-lors ne semble-t-elle pas impossible lorsqu’on voit se mettre à l’œuvre un homme isolé, sans autre appui à la cour que la faveur de la reine-mère et du maréchal assassiné, et qui, signalé à toutes les méfiances des vainqueurs, se trouve enveloppé dans la proscription commune ?

Faire sortir sa fortune de l’abîme même où elle semblait engloutie, tirer plus de parti de l’exil que jamais courtisan n’en tira de la faveur royale, c’est là un tour de force qui suffirait pour signaler à la postérité l’habileté incomparable d’Armand-Jean Duplessis de Richelieu. Si ces commencemens sont plus obscurs, ils ne sont pas moins importans à connaître ; ils apprennent l’homme à ceux qui n’ont étudié que le ministre. Né avec une vocation prononcée pour les affaires, Richelieu a rencontré sur sa voie autant d’obstacles que personne. Il est curieux de le voir les tourner à force de persévérance et d’adresse, et ce spectacle est plus saisissant peut-être que celui des luttes énergiques qu’il livre dans la pleine possession de sa force. C’est un malheur de la vie politique de contraindre les natures les plus éminentes à dépenser pour arriver à la puissance plus de ressources qu’elles n’en déploieront jamais pour l’exercer. Le ministre de Louis XIII, introduit dans la carrière par Marie de Médicis et par Concini, subit l’empire de cette loi plus générale encore aujourd’hui que dans son temps ; il se fit laborieusement sa place, et dut déployer, pour arriver au ministère, des dispositions de caractère en contraste complet avec celles qu’allait signaler avec tant d’éclat la seconde période de sa vie. Sa souplesse fit sa fortune et son orgueil fit sa gloire, a dit un grand écrivain[1]. La vie de Richelieu est tout entière dans cette inscription lapidaire. C’est en combinant, en effet, des qualités et des défauts qui semblent s’exclure, en harmoniant des tendances qui se repoussent, qu’on peut dessiner avec quelque vérité cette physionomie qui n’a rien de l’unité sévère que trop d’historiens se sont attachés à lui imprimer. Montrer Richelieu dans les phases diverses de sa vie, constater qu’il a moins agi en vertu d’une idée préconçue que sous l’empire des évènemens de son époque, telle est la double pensée qui inspirera ce travail. S’il n’offre pas au lecteur un intérêt de curiosité impossible à exciter en une telle matière et dans un sujet tant rebattu, il a du moins, pour l’é-

  1. M. de Châteaubriand, Études historiques.