considérations et par plusieurs raisons. Il représenta au roi qu’il avouait que Dieu lui avait donné quelques qualités et force d’esprit, mais avec tant de débilité de corps, que cette dernière qualité l’empêche de se pouvoir servir des autres dans le bruit et désordre du monde. Pour lui témoigner qu’il lui dit vrai, il s’offre de faire tout ce qu’il peut désirer de lui, soit pour le public, soit pour le particulier, pour le servir sans être du conseil. Pour être publiquement du conseil, il lui faudrait tant de conditions pour la faiblesse de sa complexion, laquelle n’est pas connue à tout le monde, qu’il semblerait que ce serait pure délicatesse qui le lui ferait désirer… Cela n’empêcherait point que, quand pour le bien des affaires publiques, le roi prendrait résolution de dénier à quelque prince quelque prétention, il ne le lui dît fort fermement, car ce qu’il propose est sans fard, proportionné à ses infirmités, et non à aucun dessein qu’il ait de s’exempter de la mauvaise volonté du tiers et du quart quand ce sera pour le bien public, etc.[1]. »
Pour entrer au conseil, Richelieu montrait sa béquille ; à peine entré, il la rejeta. Le lendemain du jour où il eut pris le portefeuille des affaires étrangères, il parlait déjà en maître. La pourpre romaine dont il était revêtu lui assurait de plein droit une préséance que ses collègues renoncèrent d’ailleurs dès l’origine à lui disputer, et cet homme qu’on avait vu si humble sous le maréchal d’Ancre, si souple sous Luynes, déploya tout à coup une hauteur de commandement inattendue. C’est qu’il ne trouvait plus en face de lui aucune situation assez forte pour tenir tête à la sienne, et qu’il importait de dominer le roi sous peine de voir ce prince échapper à son ministre, pour accepter le joug de quelque obscur favori. Au moment où Richelieu entrait au conseil, le terrain était libre, et il fallait en devenir le maître, si l’on ne voulait tomber promptement. Aspirer à fixer l’esprit mobile de Louis néanmoins était une entreprise plus que chanceuse ; Richelieu y parvint en tirant parti des défauts autant et plus que des qualités du monarque.
- ↑ Au début de ce XVe livre, Richelieu cesse de parler à la première personne, et, à part certains morceaux dont la facture révèle la main du cardinal lui-même, l’ensemble de l’ouvrage se compose évidemment de notes et de mémoires écrits par des secrétaires et des metteurs en œuvre travaillant sous l’inspiration du ministre.