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SAINT-GILES.

pillage et de l’orgie. Il y a là une atmosphère de corruption qui couve, fait éclore et développe le crime, de la même manière que certains insectes se multiplient naturellement au fond d’une humide obscurité.

Qui ne connaît les endroits infectés dans Paris ? Grace au goût prononcé de nos romanciers pour les fortes émotions et pour la peinture des mœurs infimes, qui ne sait en Europe les noms des plus affreuses rues de la Cité, des bouges qui souillent les abords de l’Hôtel-de-Ville et du Palais-Royal ? Et quel est l’étranger qui, jugeant notre société sur cette écume dont on a barbouillé tant de livres, ne pense pas qu’on peut la flétrir à son aise, sans tomber dans la calomnie ? Les romanciers anglais ont plus de patriotisme ou plus de discrétion. Ils laissent enfouis dans les livres bleus, dans les documens parlementaires, des détails qui doivent être réservés aux chastes regards de la science. Charles Dickens a seul jusqu’à présent soulevé un coin du voile, en écrivant Oliver Twist. Encore faut-il dire que le succès de ce livre, dans une société comme celle de la Grande-Bretagne, a tenu peut-être à la sobriété avec laquelle l’auteur avait traité ce triste et inépuisable sujet.

À Londres, le quartier par excellence des gens sans aveu est la paroisse de Saint-Giles, lieu célèbre dans les fastes criminels, qu’habitent concurremment avec les vagabonds irlandais les prostituées de bas étage et les voleurs de profession. Saint-Giles figure un pâté de rues étroites, d’allées sombres et de cours fétides, situé dans l’angle que forment, derrière la cathédrale de Saint-Paul et au cœur de la Cité, les deux grandes voies de Londres, celle qui part de Charing-Cross, et celle qui commence à la pointe de Hyde-Park sous le nom d’Oxford-Street. Cette paroisse, jointe à celles de Saint-George et de Holborn, qui présentent à peu de chose près les mêmes phénomènes sociaux, peut renfermer 75 à 80,000 ames. Elle a pour limites, à l’est, les murs de Newgate et de Old-Bayley, à l’ouest le bureau central de la police établi à Bow-Street, et se trouve ainsi placée, comme par une affinité instinctive, entre la police et la prison. Il en est de même à Paris, où les bandits les plus déterminés vivent dans les rues tortueuses de la Cité, à quelques pas de la préfecture et des tribunaux, comme s’ils voulaient jeter de plus près à la justice des hommes un insolent défi.

Mais notre Cité peut servir tout au plus de lieu d’asile. Elle est isolée en quelque sorte de Paris par les deux bras du fleuve, et il faut aller assez loin de là pour rencontrer ces quartiers somptueux