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monie avec l’esprit du temps et la situation morale du pays. Quoi qu’il en soit, toujours est-il que les Grecs n’ont pas l’expérience politique des Espagnols. Ils n’ont pas appris à leurs dépens à connaître la vanité de ces chimères que des esprits sans mesure et sans consistance présentent aux nations dans les jours de trouble, et qui ne servent qu’à les détourner pour long-temps de tout ce qui est réel et possible. On aurait donc quelque raison de craindre que les Grecs aussi ne fussent sur le point de commencer ces douloureuses expériences qui égarent toujours les révolutions lorsqu’elles ne les brisent pas. Ce n’est qu’en 1830 que la France s’est enfin reposée dans cette monarchie constitutionnelle, représentative, que les hommes sages et sincères, que les hommes de lumières et d’expérience voulaient organiser quarante ans plus tôt, en 1789. La royauté grecque s’est montrée indolente, inactive ; placée entre des conseils opposés, elle a hésité ; sous la crainte d’être trompée, d’être poussée au mal, elle n’apercevait pas qu’un mal réel et très grave se réalisait déjà par ses hésitations et ses lenteurs. C’est là le reproche, le seul reproche fondé qu’on puisse lui adresser. Elle n’a pas fait ce que le pays attendait d’elle avec impatience, ce qui, librement fait par elle, aurait été un bienfait pour le pays, pour elle une force.

Ce que n’ont pu obtenir les conseils de ses vrais amis et les insinuations malheureusement trop faibles, de la France et de l’Angleterre, la nation l’a obtenu promptement, brusquement, par une manifestation éclatante. Au lieu de proposer, la royauté n’a pu qu’adhérer ; au lieu d’offrir, elle a consenti à la demande irrésistible du pays. C’est assez pour tous : pour le roi, qui a sans doute compris que la résolution est nécessaire au gouvernement de l’état ; pour la Grèce, qui peut compter sur la probité et la loyauté de son jeune monarque. Nous oserions presque ajouter que les qualités du prince ne sont pas la seule garantie qu’ait le pays du scrupuleux accomplissement de la promesse royale. Cette même difficulté de passer d’une situation à une autre, d’assumer la responsabilité morale d’une grande mesure, cette même propension pour ce qui existe par cela seul qu’il existe, servira à consolider la révolution comme elle a servi à la faire éclater. Le roi ne voudra pas plus courir les hasards d’une contre-révolution qu’il ne voulait aller au-devant des difficultés et des débats du gouvernement représentatif. Les évènemens l’auront, nous aimons à le croire, rendu plus actif et plus résolu ; mais il n’est pas dans sa nature d’être aventureux et téméraire. Le sort de la Grèce dépend donc entièrement des dispositions morales du pays. Si le pays ne voit dans les faits du 15 septembre qu’un de ces moyens extraordinaires, périlleux, qu’une dure nécessité rend quelquefois légitimes, mais qu’on ne pourrait renouveler sans tout bouleverser et tout briser, le but se trouvant atteint, la révolution est finie, la légalité constitutionnelle commence, et avec elle ce gouvernement de discussions, de débats, de transactions, qui est le gouvernement des nations libres et progressives. Si la Grèce, au contraire, ne se représentait les faits du 15 septembre que comme une première bataille livrée au trône par les opinions anti-monarchiques et gagnée par elles, la révolution, loin d’être terminée, ne ferait que commencer sous les plus tristes aus-