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LES ESSAYISTS ANGLAIS.

aveugle et puissant comme un instinct, ces magnifiques facultés qui ont fait sa grandeur et celle de sa patrie.

C’est à la période triomphante de la vie de lord Chatham que se terminent les excursions de M. Macaulay à travers l’Angleterre moderne. Il a fait halte au vestibule, pour ainsi dire, de l’histoire contemporaine. Il pénétrera sans doute dans cette sorte de monde nouveau qui s’ouvre au point même où il s’est arrêté. Il a à nous rendre compte de l’influence qu’ont exercée sur l’Angleterre ces deux évènemens immenses, l’indépendance américaine et la révolution française, qui ont ébranlé et comme refait le monde pendant un demi-siècle. Pour nous, en traçant un calque rapide des brillantes esquisses d’histoire politique que contiennent les Essais de M. Macaulay, nous n’avons pu prétendre qu’à faire pressentir de loin l’intérêt des scènes ou des caractères qu’elles reproduisent. C’eût été une tâche plus difficile, nous l’avouons, de faire justement apprécier le bonheur avec lequel ces esquisses ont été exécutées. Si nous ne l’avons pas remplie, nous voudrions l’attribuer aux qualités neuves et tout-à-fait originales qui distinguent la manière de M. Macaulay. Les grands effets de cette manière sont dans l’ensemble même de la composition ; ni la citation, ni l’analyse ne sauraient les atteindre. On ne pourrait détacher un portrait d’une œuvre où abondent néanmoins les portraits excellens. C’est que M. Macaulay a secoué, dans ce genre, la tradition de l’ancienne école, du portrait à compartimens, à symétrie, aux allures géométriques et quelque peu pédantes. Qu’il fasse le portrait d’un homme ou le tableau d’une situation, s’il en saisit avec une vive perspicacité les traits saillans et caractéristiques, c’en est pas seulement pour les indiquer dans un profil anguleux et décharné : autour des traits principaux, il accumule, il répand, il classe tout de suite, par voie d’énumération rapide, avec une fine entente des contrastes d’où sortent les jeux de lumière dans le portrait historique, les idées, les faits, les circonstances qu’ils dominent, mais qui les expliquent et leur donnent leur couleur. Servie par un style plein d’entrain et d’éclat, où ne s’aperçoivent jamais les hésitations ou les haltes du pinceau, qui semble toujours trouver du premier coup, d’une seule haleine, le mot et le trait heureux, où une érudition littéraire riche et distinguée attache d’élégantes broderies, cette méthode saisit vivement l’esprit, à travers l’imagination. Tel est le succès et le mérite de M. Macaulay ; toutes les qualités de son jugement, de son esprit, de son imagination, il les emploie à peindre ; il a le coup d’œil vaste et perçant, prompt et sûr, et il sait