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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

hommes supérieurs triomphent tôt ou tard, en s’appuyant sur elle, des résistances que pourraient susciter ou des intrigues ou des caprices. Il n’en était pas ainsi dans cette vieille société française, qui voyait l’autorité royale s’élever comme le seul pouvoir de l’état, au milieu des troubles excités par une aristocratie princière moins ambitieuse de droits politiques que de vanités et de jouissances. Pour se maintenir aux affaires à pareille époque, et pour les régir souverainement pendant dix-huit années, il fallut deux choses : la première, éviter le sort du maréchal d’Ancre, et convaincre les grands du royaume que de tels attentats ne se renouvelleraient plus impunément ; la seconde, rester maître de la pensée, sinon des affections du monarque, et associer étroitement le maintien de son pouvoir à la sûreté du prince et à l’existence même de la monarchie.

Voilà ce que sut faire Richelieu avec un bonheur incomparable. La longue domination exercée par ce ministre sur un prince qui, comme homme, n’éprouvait pour lui que des repoussemens, est un fait sans précédens dans l’histoire. Cette œuvre de persévérance et d’habileté doit être étudiée avec autant de soin que les grandes transactions diplomatiques de cette époque.

Louis XIII était, sous le rapport des affections, le plus changeant et le plus capricieux des hommes. Sa mère s’était crue sûre de son cœur, et avait fini sur la terre étrangère une vie traversée par toutes les douleurs ; sa jeune et belle épouse n’avait rencontré que froideur dans son triste hyménée. La confiance et l’amitié de ce prince avaient appartenu tour à tour à de Luynes, à Barradas, à Schomberg, à Saint-Simon, à Bassompierre, à Cinq-Mars, et cette royale amitié ne préserva pas toujours leur fortune et leur tête. Il avait aimé d’un amour mort et glacé comme lui-même des femmes spirituelles, de douces et pures jeunes filles, et ces liaisons s’étaient rompues sans effort, sans combat et sans laisser de vide dans son cœur. Tel était le maître auquel il fallait que Richelieu s’imposât ; tel était le monarque destiné à couvrir, jusqu’au dernier jour de sa vie, des plis de son manteau royal le ministre exécré dont l’impopularité remontait jusqu’au trône.

Ils paraissaient n’avoir rien de commun, ces deux hommes associés par une loi mystérieuse et fatale. Si l’on pouvait dire par où leurs habitudes se repoussaient, il n’était pas aussi facile de comprendre par où ils se sentaient mutuellement attirés l’un vers l’autre Aussi les contemporains y furent-ils trompés, et Louis hésita-t-il souvent lui-même entre ses instincts de prince et d’homme privé.