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Recueillez ses conversations les plus intimes, à Lyon avec sa mère pendant sa maladie, au parloir de la Visitation avec Mlle de Lafayette, dans les bois de Fontainebleau et les salons de Saint-Germain avec ses favoris d’un jour, plus tard dans les longues et fiévreuses veillées de sa campagne de Provence avec son grand-écuyer, partout vous l’entendez exprimant les répugnances que lui inspire le cardinal, la lassitude qu’il éprouve de ses procédés impérieux et de ses inflexibles exigences ; partout le roi semble apparaître comme oppressé par un pesant cauchemar qu’il suffirait pourtant d’un seul mot pour secouer. Pourquoi ne le prononce-t-il pas, ce mot suprême ? pourquoi Louis subit-il, aux dépens de son repos et de son bonheur intérieur, la rude domination contre laquelle il proteste tous les jours ?

Le caractère et la situation politique du monarque expliquent cette anomalie singulière. Louis XIII ressentait cette poignante méfiance entretenue par les longs périls de sa jeunesse, et qu’avait développée un naturel inquiet et solitaire. Il avait vu son enfance menacée par des insurrections formidables ; il savait tout ce que son tempérament maladif faisait naître d’espérances dans sa famille, tout ce qu’il excitait de dédain populaire au sein de la nation. Il ne croyait ni à l’affection de sa mère, ni à la tendresse de son épouse, ni à la fidélité de son frère, ni au dévouement des grands et du peuple. Marie de Médicis, que le premier acte de son pouvoir avait chassée du Louvre, se posait toujours devant lui comme une mère ambitieuse et outragée. Anne d’Autriche, que la froideur de son époux semblait vouer à une stérilité éternelle, était à ses yeux la personnification vivante de l’Espagne et d’une politique ennemie. Gaston d’Orléans, l’objet des prédilections de sa mère et peut-être de sa femme, le successeur désigné de son trône et de son lit, le boute-feu de tous les complots, le complice et l’espoir de l’étranger, lui apparut pendant tout le cours de son règne comme un ennemi public et domestique à la fois. Depuis la conspiration du maréchal d’Ornano jusqu’à la ténébreuse machination de Cinq-Mars, le nom du duc d’Orléans avait été mêlé à tous les projets des factieux, à toutes les correspondances secrètes de l’Escurial, à tous les vœux des ennemis de la monarchie et de la Francs. Autour du trône étaient groupés des princes et des seigneurs dont les subversives pensées allaient tour à tour de la reine-mère à Gaston, et des religionnaires de La Rochelle aux armées espagnoles : audacieux brouillons, brillans conspirateurs, dont la tête ne fléchit sous le joug des lois qu’après avoir entendu siffler la hache du bourreau.