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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

par les hommes de ce temps, c’est la résolution persévérante de Louis XIII de conserver son ministre, lors même qu’il paraît prendre l’engagement formel de l’écarter.

En suivant la rapide esquisse que nous tracerons ici des évènemens, on verra que la puissante volonté de Richelieu leur servit toujours de lien et de mobile. Observons aujourd’hui l’action de ce ministre à l’intérieur du royaume ; rendons-nous compte de ses efforts pour substituer une administration centralisée à ce gouvernement, mi-partie de féodalité et de franchise municipale, qui succombait sous sa confusion même. Suivons-le d’abord dans sa lutte contre les protestans et contre les grandes races ; une dernière partie de ce travail nous montrera le grand ministre sous son aspect européen, et contiendra l’appréciation de l’œuvre diplomatique qu’il prépara pour les négociateurs de Munster et d’Osnabruck.

L’homme d’état véritable possède deux facultés qui s’exercent en quelque sorte simultanément. Son esprit doit embrasser d’une vue ferme et constante une pensée systématique, en même temps qu’il est tenu de transiger avec les faits, même les plus contraires à ses principes. Avoir devant les yeux un but invariable, lors même qu’on paraît s’en écarter, savoir ajourner l’application de sa pensée sans l’abdiquer jamais, telle est la double condition imposée à quiconque aspire à dominer les évènemens et les hommes. Richelieu la posséda au plus haut degré, et rarement esprit fut en même temps plus absolu et plus pratique, plus patient et plus inflexible.

Nous avons rappelé avec quelle souplesse il escalada les degrés du pouvoir, et l’on sait déjà quelles inspirations il entendait porter dans l’exercice du gouvernement. Le cardinal renouvelait, en la développant plus largement, la politique de Henri IV, qui cherchait dans la Grande-Bretagne, la Hollande, la Suisse et les puissances secondaires de l’empire un point d’appui contre la maison d’Autriche. Depuis la mort du Béarnais, la nécessité de professer cette politique paraissait bien plus manifeste encore. En Allemagne, l’empereur Ferdinand II était en voie de triompher des efforts mal concertés des protestans. L’Espagne pesait de plus en plus sur l’Italie, elle occupait les passes de la Valteline, soumise par des conventions antérieures à une sorte de neutralité garantie par l’occupation des troupes pontificales. Enfin, à l’intérieur du royaume, l’on entendait gronder sur tous les points l’orage qui, pendant les dix années de la régence, avait menacé la monarchie. En aucun temps, la cour n’avait été plus troublée, et la royale famille de France plus remplie de