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FERNAND.

compter de ce jour, devient si précieuse et si nécessaire, que moi-même je ne me permettrais pas d’y toucher. Monsieur de Peveney, ajouta-t-il en élevant la voix, écoutez ce que je suis venu vous dire. — Vous m’avez pris ma femme et vous la garderez. En usurpant mes droits, vous avez implicitement accepté l’héritage de mes devoirs. Tout l’avoir d’Arabelle était sa liberté ; en la lui rendant, je suis quitte envers elle, et vous ne seriez pas gentilhomme que je craindrais encore de vous offenser en offrant à madame le bénéfice de la loi.

À ces mots, il salua sans affectation, avec une grave politesse, et sortit aussi calme, aussi froid, que s’il se retirait d’un salon.

La chaise de poste qui l’avait amené l’attendait à la porte ; il y monta, et ce ne fut qu’en entendant le bruit de la voiture qui s’éloignait au galop des chevaux, que M. de Peveney comprit nettement toute l’horreur de sa position. Il passa la main sur son front et regarda autour de lui, comme s’il se réveillait d’un songe. Il se vit seul avec Arabelle, tous deux chargés de honte, enfermés, elle et lui, dans un cercle de fer, scellés et soudés l’un à l’autre.

FERNAND DE PEVENEY À MADAME DE MONDEBERRE.
Madame,

Mon malheur passe mes prévisions ; la foudre est tombée sur ma tête. Tout est brisé, l’honneur seul est debout. C’est ce fatal honneur qui me perd ; c’est à ce maître cruel, inflexible et jaloux, que j’immole l’espoir de ma vie tout entière. Ne cherchez pas à soulever le voile qui vous cache ma destinée ; seulement, dites-vous qu’en renonçant au bonheur que vous m’avez offert, j’ai prouvé que peut-être je le méritais ; dites-vous, madame, qu’en refusant d’entrer dans votre Éden, j’ai montré que je n’étais pas tout-à-fait indigne de m’asseoir à la place que deux anges m’y réservaient. Je pars. Où me conduira l’orage qui m’emporte ? reviendrai-je un jour ? Je ne sais. Mais la terre manquera sous mes pieds avant que les sentimens de respect et d’adoration que je vous ai voués s’éteignent dans mon cœur, qui ne vit plus qu’en vous.


Jules Sandeau.

(La seconde partie au prochain numéro.)