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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/571

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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

venir faire figure à Versailles. Un seul pouvoir se dressait donc contre la royauté, celui de l’opinion publique, pouvoir dangereux lorsqu’il est sans interprète, et qui prépare les révolutions en rendant les transactions presque toujours impossibles. Rien de tout cela n’est douteux, et Richelieu verrait, aujourd’hui tout aussi distinctement que nous le côté faible de son œuvre. Mais pouvait-il pressentir ces conséquences éloignées, et jusqu’à quel point devait-il se refuser à fonder le présent par la crainte de compromettre l’avenir ?

Toutes les révolutions sont logiciennes, et l’on espérerait vainement les arrêter dans le cours de leurs inflexibles syllogismes. Richelieu visait au plus pressé, et, la vue obscurcie par la fumée du combat, il ne découvrait que les obstacles qu’il avait en face de lui. Aucun de ses contemporains ne paraît avoir eu des prévisions plus lointaines ; car, de tous les esprits éminens du XVIIe siècle, le saint instituteur du duc de Bourgogne est le premier écrivain qui ait essayé de formuler pour la France un plan de réorganisation politique. On a vu, par le spectacle des temps antérieurs à l’avénement du cardinal, combien peu la haute aristocratie avait le goût et l’instinct des réformes sérieuses : la fronde montra également jusqu’à quel point les classes bourgeoises étaient alors dénuées de patriotisme et d’esprit politique. Sous la régence d’Anne d’Autriche, les parlementaires firent une campagne non moins factieuse et non moins stérile que celle des grands sous la régence de Marie de Médicis. Ils abdiquèrent promptement la direction du mouvement suscité par eux, et le conseiller Broussel s’effaça vite devant le prince de Condé venant livrer à la suprématie monarchique un vain et dernier combat. Parlemens, noblesse, provinces, villes et corporations, chacun tirait à soi dans la vieille France : deux forces pouvaient seules rattacher à un centre commun ces membres épars d’un grand corps, la royauté ou la révolution, les idées de Richelieu ou celles de la constituante.


Louis de Carné.