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LA MARINE DES ARABES ET DES HINDOUS.

que, bien des siècles après eux, infestèrent les pirates barbaresques établis sur leurs ruines. Mais il est douteux qu’aucun de leurs navires ait volontairement franchi les colonnes d’Hercule. Attirés vers ces villes célèbres qui furent tour à tour l’entrepôt des richesses du vieux monde, et dont Alexandrie peut être considérée comme la dernière dans l’ordre des temps, les commerçans des trois parties du monde se rendaient à un point donné sans chercher à découvrir ailleurs des pays barbares ou des plages désertes. Les fastueuses galères de Cléopâtre, si splendides qu’une seule d’entre elles eût suffi à payer les frais de la moitié de la flotte que Rome équipa dans la première guerre punique, ces chaloupes dorées étaient, au point de vue nautique, quelque chose de pareil aux caïques des Cyclades, ou mieux aux djermes allongées qui promènent les pachas de Rosette au Caire ; quelque grandes qu’elles fussent, le moindre orage les rejetait en désordre dans le port ; elles ne sortaient prudemment qu’entre deux tempêtes. Dans ces temps-là, le plus court voyage était marqué par un coup de vent ; rarement on allait de la côte de Syrie à celles du Péloponèse ou de l’Italie, des ports africains aux rives de la péninsule, sans faire naufrage au moins une fois à Samos, à Mélite, aux îles Baléares ; ce qui prouve que les navires ne pouvaient lutter contre le moindre gros temps, et que les nautonniers, timides en raison de leur ignorance, voguaient par instinct à la recherche des îles, des caps, phares naturels placés de tous côtés sur leur chemin.

Avec des barques plus pesantes et plus solides, parce que les bois étaient plus abondans et moins précieux, les mers plus agitées, les ouvriers moins habiles, les Scandinaves, les Danois, les Normands, ces hordes vagabondes et pillardes, quelle que soit leur dénomination, ne faisaient que suivre le littoral de la Baltique, battre les deux rives de la Manche, côtoyer la Bretagne ; prêts à remonter les fleuves avec leurs navires presque plats, ils se guidaient sur les blanches falaises, sur les sombres rochers de la plage plus que sur les étoiles d’un ciel nébuleux. C’étaient des guerriers embarqués et non des navigateurs. Au temps des croisades, la navigation plus avancée ne fut encore qu’un moyen ; il ne s’agissait pas de pousser des conquêtes hasardeuses vers un continent inexploré, mais de s’assurer la possession de cette terre sainte que plus tard Colomb, et après lui Albuquerque, ne désespérèrent pas de soumettre, en prenant à revers un ennemi inattaquable du côté de l’Europe. Les anciens eurent, il est vrai, des colonies : long-temps avant que Rome existât, les Phéniciens avaient fondé Carthage ; les Phocéens s’établirent aux