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du Gouzerate et de Malabar, qui fréquentent sa rade, est incalculable[1]. Entre les rochers de l’île de Colabah et Malabar-Point, c’est-à-dire dans un espace d’une lieue et demie, il n’est pas rare de compter, par les calmes du matin pendant les mois de décembre et de janvier, jusqu’à soixante et quatre-vingts voiles latines qui semblent se toucher. Ces grosses barques entrent et sortent sans hisser de pavillon, sans être signalées par le sémaphore ; ce sont comme des wagons de roulage qu’on laisse passer sans y prendre garde ; ce que l’on guette de tous les yeux, c’est le navire européen poussé par sa légère voilure ; surtout le paquebot fumant, qui va jeter à travers l’Asie surprise vingt-cinq mille lettres parties, il y a six semaines au plus, d’une petite île perdue au nord de l’Europe, par derrière le continent. Et cependant, quel mouvement, quelle animation étrange donne à la rade et au port cette agglomération de navigateurs orientaux ! Ici des matelots de l’Yémen, vêtus de la robe bleue des ismaélites, remplissent leurs outres, qu’ils plongent dans la citerne au moyen d’une longue corde de poils de chameau ; on dirait plutôt un groupe de pasteurs réunis à la fontaine. Là, tout un équipage de matelots du golfe, descendus à terre après les travaux du jour, mêle ses turbans arrondis aux pagris rouges et aplatis des Banians, aux bonnets élevés des Guèbres ; plus loin, les gens de Mascate, le corps nu jusqu’à la ceinture, la tête couverte de l’écharpe à frange qui retombe sur le cou, mâchant des dattes et montrant leurs dents blanches, coudoient dans la foule le Persan, dont la robe bariolée est retenue par un châle de Cachemire. Quant aux capitaines ou nakodas, ils ont pris à la main le bâton blanc, poli et recourbé, chaussé leurs babouches jaunes, jeté sur leurs épaules l’ample cafetan, pour aller vivre à terre dans la ville noire, autour des hangars où les chevaux à vendre sont rangés sur deux lignes, attachés à terre par quatre piquets. Sur des bancs, à l’ombre des palmiers, stationnent ces navigateurs marchands ; moitié accroupis, moitié assis, les yeux plus fermés qu’ouverts, d’une main tenant la pipe à bout d’ambre, de l’autre jouant avec le chapelet apporté de la Mekke ou avec le sac de cuir plein de tabac choisi, ils passent silencieusement des

    établir sur l’Euphrate un service de bateaux à vapeur, puis une administration des postes, assurément plus solide que l’administration gouvernementale de la province, puis des dépôts de charbon, et sans doute des troupes pour garder les magasins !

  1. On peut évaluer à plus de quatre-vingt mille ames la population flottante de Bombay.